[Fol. 122A v°]En l’an de .M. e .CC. Lxxxv, el mes d’abril, venc lo rei
en Peire, rei d’Aragon a Perpinhan, sus al pong de l’alba, e pres p[er] assetje lo
castel de Perpinhan, e pres lo rei de Malhorgas e la Regina, seror que era del comte
de Fois, e⋅ls enfans fills del rei de Malhorgas. Et en aquel meteis mes d’abril,
venc lo rei de Fransa et un cardenal en Rossilho[n], ab lurs grans hostz, e cremeron
Salsas. E passet la host a Castelnou, e no[n] lo poc assetiar. E parti se la host
d’aqui, et anet assetiar Euna. Et auciro[n] hi homes e femenas et enfants. E d’aqui anet s’en la host a Gerona, et estet hi .iiii.
mezes o plus, tant que rendero[n] se aquels dedins ab covinents que no[n] degro[n]
morir. Et en aquel meteis an, el mes de setembre, foro[n] desbaratadas .xxv. galeas
del rei de Fransa, estiers las autras que ero[n] davant desbaratadas. Et apres mori
lo rei de Fransa a Gerona. Et apres Sa[n]t Miquel, un divenres, mori lo senher en P.
rei d’Aragon, a son lieg, quant las hostz s’en foro[n] tornadas. Et en aquel meteis
an .xv. jorns davant Nadal, se revelero[n] los homes de Malhorgas, e redero[n]
Malhorgas an n’Amfos rei d’Arago[n]. Et en aquel an moriro[n] l’arcivesque de
Narbona, e d’Arle, e l’avesque de Tolosa. Et apres la guerra fon p[er] tot
crestianisme cares- __
[Fol. ]
__tia mortal. quar lo sestier de
blat valia .xx. s. de tornes, e plus, tot aquel yvern el an apres entro a meixo[n]s.
Et apres la carestia ta[n]tost, so es a saber, en l’an de .M. e
.CC. Lxxxvi, per tot l’estiu fon mot gran enfermetat e mortaudat de totas
manieiras de gents : e de rics, e de paubres, e de viels, e de joves.
Année 1285 : commentaire historique
Pierre III (1239–1285), fils aîné de Jacques Ier, avait succédé à son père en 1276 comme roi d’Aragon. Son frère cadet Jacques II étant entré dans l’alliance de Philippe III qui préparait une expédition militaire contre l’Aragon, Pierre III se rendit maître de Perpignan en avril 1285, faisant prisonniers l’épouse de Jacques II, Esclarmonde de Foix, sa fille Sancie (1285-1345, future épouse de Robert d’Anjou, roi de Naples) et ses fils Jacques (1274-1330) qui renonça à la couronne et entra chez les frères mineurs, Sanche (1276-1324) qui succéda à son père sous le nom de Sanche Ier et Ferran (1278-1316). Jacques II lui-même n’échappa que de peu à l’entreprise de son frère aîné en s’évadant du château de Perpignan où il se trouvait. Voir Albert Lecoy De La Marche, Les relations politiques de la France avec le royaume de Majorque, Paris, E. Leroux, 1892, t. 1, p. 194-204 qui reprend largement le récit que fit de cette expédition le chroniqueur Bernard Desclot.
C’est à la fin du mois de mai 1285 que l’armée de Philippe III pénétra en Roussillon ; les Français s’emparèrent d’Elne le 25 mai avant de mettre le 27 juin le siège devant Gérone qui ne capitula que le 7 septembre. Mais Philippe III ordonna la retraite de son armée le 13 septembre et mourut à Perpignan au début du mois d’octobre. Si la date retenue pour le décès du roi est le 5 octobre 1285, Gérard Sivéry se demande si l’on n’attendit pas l’arrivée du défunt à Perpignan pour proclamer ce décès et si « la litière ne transportait plus un roi mourant mais un roi déjà mort ? » (Gérard Sivery, Philippe III le Hardi, Paris, Fayard, 2003, p. 280).
Pierre III mourut le 11 novembre 1285 ; son fils aîné Alphonse III (1265-1291) lui succéda et, par mesure de rétorsion vis-à-vis de son oncle Jacques II qui avait soutenu l’expédition de Philippe III, se rendit maître des îles d’Ibiza et de Majorque.
Variantes : Une version plus détaillée de ces mêmes événements se trouve dans le H 119 (témoin G) :
(fol. 122 v°). Cette relation se trouve à l’identique dans le ms fr 11 795 (témoin F) (fol. LXX v°-LXXI).Le cardinal qui accompagnait l’armée royale était Jean Cholet qui avait reçu commission de la part du pape Martin IV de prêcher cette croisade contre le souverain aragonais et agissait en tant que légat pontifical. La prise de Salses, intervenue au début du mois de mai fut le premier fait d’armes de cette campagne mais les Français échouèrent à s’emparer de Castelnou (c. des Pyrénées-Orientales) avant de s’emparer d’Elne puis de se diriger sur Gérone dont le siège dura, non quatre mois mais deux mois et demi. La bataille navale évoquée ici est celle de Las Formiguas au cours de laquelle l’amiral de Sicile, Roger de Loria, détruisit la flotte française le 4 septembre. À propos du château de Castelnou, le H 119 (témoin G) apporte la précision suivante pour l’année 1286 : Robert et Agnès Vinas, La croisade de 1285 en Catalogne et Roussillon, TDO Editions, 2017.
(fol. 123), mention que l’on trouve aussi dans le ms fr 11 795 (fol. LXXI). Sur ces événements, voir l’ouvrage de