[Fol. 534 r°] L’an mil cinq cens soixante | deux feurent
consulz et de ladicteAbrégé : lad novelle relligion, |
monseigneur Abrégé : monsrmessireAbrégé : me Jehan Martinis, docteur ez droictz,
sire Francoys Maigret,
Jehan Pons,
Gualhardet Verchant, merchantz,
André Verdier, campanierCampanier : fondeur de
cloches., |
Henry Le Long, jardinier.
[Fol. 534 v°]Ceste annee comenca en ce royaulme celle tant |
sanguynolente et pernicieuse guerre civille pour | le faict de la
relligion, d’aultant que c’estantz ceulx | de ladicteAbrégé : lad relligion novelle par l’edict de | janvier nagueres mentionné
licentiés fereAbrégé : fe | prescher partout hors des villes, s’en ensuyvoient |
plusieurs desordres, tumultes et seditions, | tellement que pour
l’infraction d’icelluyAbrégé : d’icell edict | prethandueAbrégé : pthandue ou possible pour de particulliers | affections d’entre les
grandz de ce royaulme | tenantz les ungz pour le roy et esglise
catholicque, | les aultresAbrégé : aues contraires pour ladicteAbrégé : lad novelle relligion. | S’esmeut ceste guerre le
roy estant encores | en son adolessance et
print la protection, et | ce randist chef de ceulx de ladicteAbrégé : ladrelligion | monseigneurAbrégé : monsr Loys de Borbon prince de Condé, | frere du roy
de Navarre, prince du sang, | acompaigné du seigneur de
Chastillon, admiral | de France, et aultres Abrégé : auesplusieurs seigneurs | et gentilzhomes inpatronizantImpatronisant :
rendant maître, mettant en possession (d'après Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 28557). dez villes | de
Roen, Lion, Orleans et aultres Abrégé : auesen France. | En Languedoc, la guerre ainsi ouverte, | le seigneur d’Actier[a] Sans doute «
Actier », pour Acier, l’une des seigneuries des comtes de
Crussol frere du seigneur comte | de Crussol et d’Uzes y vint pour chef
et | generalAbrégé : gnal de ladicteAbrégé : lad relligion au mois de may | dudictAbrégé : dud an pource qu’ilz [b]mot manquant :
sans doute « fuirent » non seullement __
[Fol. 535 r°]
__Montpellier, mays BeziersNismes, Uzes, Agde, | Beaucaire et plusieurs aultresAbrégé : aues villes, les catholicques | officiers et aultres le mieulx qu’ung chascungAbrégé : chung peult eviderent | desdictezAbrégé : desd villes, ce retirents ez lieux de l’hobeyssanceAbrégé : l’hobeyssan du roy. | Les aultresAbrégé : aues qu’estoient la plus part retenuz feurent | constrainctz ce
comporter et acomoder au temps et lesdictzAbrégé : lesd | de la relligion comencerent ainsi faire corps et ligue |
apart, tenantz estatz du pais separement, consulz faisantz, | impouser deniersAbrégé : den et toutes aultresAbrégé : aues chouses appertenantz | a peuple libre, democratie et administrationAbrégé : administraon popullaire, | quoy qu’ilz heussent esleuz dez seigneurs pour
conduyre | la guerre. Au moys de juillet, monseigneurAbrégé : monsr de Joyeuse, | lieuctenantAbrégé : lieucten pour le roy leve armee et prend Montaignac | d’assault. Le seigneur Abrégé : srd’Accier l’estant allé trouver | près Pezenas en rompu et la ville de Pezenas reprinse | par ledict Abrégé : ledseigneurAbrégé : sr de Joyeuse et aussi celle de Gignac. Au | commencement du mois de
septanbre suyvant, l’armee | dudict Abrégé : dudseigneur de Joyeuse marcha devers MontpellierAbrégé : Montpell et | ce campa dans le cloz de Lattez et du mas d’En Civade[c] Mas d’en
Civade : actuellement, commune de Lattes, proche du théâtre Jacques
Coeur, | ledict Abrégé : ledseigneur d’Acier estant dans MontpellierAbrégé : Montpell avec les | forces tant a cheval que a pied que
luy estoient venuz | dez pays de Daulphiné et Provence
ce tenant[d]« n » rajouté
par le transcripteur aux champs | aussi et ce campe entre la ville et Lattez et au lieu | dict au mas de Boysson ou, appres avoir escarmoché
| souvent et perdu d’ung cousté d’ autreAbrégé : aue et laché force | coups de canon les ungz contre lez aultresAbrégé : aues, envyron | le comencement d’octobre ses deux camps ce leverent __
[Fol. 535 v°]
__ sans aultreAbrégé : aue exploict sinon la ruyne totalle du plus | beau que y eust a
Montpellier qu’estoient les
faulx | bourgz, couventz, esglises et jardinaiges, que le tout |
pour la venue du camp dudict Abrégé : dudseigneurAbrégé : sr de Joyeuse et craincte | d’ung siege feust
soubdainement ruyné et demolly | jusques a fleur de terre, les aulcungz
tant par le feu | que sappe et a la main non seullement a la
distruiction | et appovrissement de plusieurs bons habitantz mays |
a la deformationAbrégé : deformaon de la ville pour la ruyne desdictzAbrégé : desd | ediffices que pour memoire de leurs antiens | fondateurs et de la
posterité ne sera hors de | Ruyne d’ediffices | faicte a Montpellier | pour la guerre | 1562[e]Notes en
marge sans isnertion dans le texte propos icy mentionnés, car il y avoict premierement |
quatre conventz dez mendiantz dez plus beaulx espacieux | et mieulx
bastis de France, soict en esglise
| maysonnaiges et clos, c’est des jaccopins au | bout dez faulx bourgz Sainct Guillemchemin de | Ginhac, dez
cordelliers au chemin de Lattez, des | augustins aulx faulx bourgz Sainct Gillechemin | de Nismes, des
carmes au devant la
porte | dez Carmes, plus y
avoict aulx faulx bourgz | Sainct
Guillem ung monastere de
bernardines | nommé Valmagne, aultre de dames relligieuses | de Prolhan dictes de
Sainct Guillem la aupres | une chappelle dicte la Magdaleine, hors | la porte et faulx bourgz de la
Sonerie près ladicteAbrégé : lad | porte a main droicte en sortant ung convent des | relligieuses recluses de la petite observanceAbrégé : observan,__
[Fol. 536 r°]
__ de l’aultreAbrégé : aue costé une esglise de Sainct
George, aultre de | Sainct Thomas plus avant au bout
dez faulx bourgs, | a main gauche venant de la ville une belle
esglise | et colliege secullier
dict de Sainct Saulveur, au devant ung | hospital dict de Saincte Marthe,
hors tout les faulx | bourgz et murailhe de la pallissade le grand Sainct | Jehan, esglise et
beau massonnaige appertenant aulx | chevalliers de Sainct Jehan de
Hierusallem ou de Malthe, | plus avant au chemin de Villeneufve ung couvent | de relligieuses noires dictes de
paradis sus Sainct
| Martin de Prunet la hault allant audict Abrégé : audVilleneufve, | au
grand chemin de Beziers et de
chesque costé du grand | cemectiere[f] Comprendre
« cimetière ». dict le Carnier une esglise nommé l’une | et la
prochaine dudictAbrégé : dud chemin Sainct BarthelemyAbrégé : Barthe l’aultreAbrégé : aue | Sainct Claude, a la porte de Lattez l’hospital Sainct | Elloy ou ne feust rien
touché d’entre la porte de |
Montpellieyret et icelle de Sainct Denys, du long | de la digue une petite
chappelle dicte de NostreAbrégé : Nre | Dame de Bonnes Novelles a l’hiere[g]Comprendre «
aire ». et porte Sainct | Denis
l’esglise et parroisse Sainct
Denys avec | l’habitationAbrégé : habitaon dez prebstresAbrégé : pbres, la bas aulx faulx bourgz | Sainct
Gille la commanderie et
hospital Sainct | Esprit Saint Martial, plus avant
devant les | augustins le convent Sainct
Maur ou de la | Trinité d’entre les faulx bourgz Sainct Gille et | La Blanquerie, au dela du
Merdansson la | commanderie Sainct Anthoine
d’entre les portes | de la
Blanquerie et dez Carmes sur le Merdansson
[Fol. 536 v°]
__ près la digue ung beau hospital de la peste, | appres les Carmes
plus hault au chemin de |
Grabelz l’esglise Sainct
Cosme, hors la porte | du
Peyron et faulx bourgz
Sainct Jaume l’esglise | et
l’hospital Sainct Jaume, plus hault ez hieres[h]Comprendre
« aires ». | dictes de Saincte Eulalye le convent de Saincte | Eulalie ou de la mercy et joignant ledictAbrégé : led convent | une belle haulte tour
carree ou estoict la | cloche de l’université dez loix,
que sont vingt sept | conventz, esglises ou ediffices publicz soubz
| troys belles grandz salles dez estudes
dez droictz | pour lire qu’il y avoict d’entre la
porte du | Peyron et le
couvent Sainct Eulalie et la |
hault près ledict Abrégé : ledSainct Eulalie une aultre Abrégé : auegrand | salle ou jadis
seloientSouloir : avoir coutume (Huguet Edmond, Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 50065). lire lez moines Sainct | Germain, et du
cousté de la porte dez Carmes | a deux cens pas ung beau chasteauAbrégé : chau et clos dict | Boutonnet au chemin de Montferrier chose |
que ceste ruyne de fort pitieusePitieuse : qui inspire
la pitié. memoyre | sans la perte
dez maysons et jardinaiges des | particulliers en grand nombre alentour
| de ladicteAbrégé : lad ville a mesme ruyne et dispertionAbrégé : dispon | feurent mis aussi toutz les esglises, oratoyres | et croix estantz
ez champs par le pays. | Ne fault obmectre que estant ledict Abrégé : led camp __
[Fol. 537 r°]
__ a Lattes, le seigneur de Sommerive, lieuctenantAbrégé : lieucten du roy | en Provence, s’en venant avec grande force pour ce
joindre | avec l’armee de Lattez feust surprins au lieu de Sainct | Gilles an deca du Rosne par les huguenotz,
tellement | que a peyne c’estant il sauvé avec dez principaulx, toute
| l’infanterie feust mise en piecces, mays lesdictzAbrégé : lesd | huguenotz appres cest exploict s’en retornantz a
MontpellierAbrégé : Motpell, | guettés a poinct par la cavallerie du camp
de Lattez ez | Areniers près Castelnau, pagarent
bien ce deffault en | ayant esté plusieurs deffaictz. Passantz ainsi les
| chouses en Languedoc, en
France appres par le
roy | auroyt esté prinse d’assault sur les huguenotz la
ville | de Roen ou feust tué le
roy de Navarre tenant | Bataille | pour la relligion[i]Ajout sans
insertion dans le texte le parti du roy, feust donnee près Dreux en Normandie | le dixiesme decembre audictAbrégé : aud an celle sanglante bataille | civille d’entre l’armee
catholicque du roy, absant, | et ceulx de ladicteAbrégé : lad relligion, conduictz par le prince de |
Condé, en laquelle d’ung cousté et d’aultreAbrégé : aue y eust grand | perte et occizion d’hommesAbrégé : homes jusques a quinze mil, | toutz francoys mesmes de la noblesse,
et beaucoup | de prisonniers, entre aultresAbrégé : aues dez catholicques feust | prins monseigneurAbrégé : monsr le duc de Montmorency, conestable | de France, et des huguenotz leur chef le
prince | de Condé, neanlmoingz demeurant le
camp aulx | catholicques. En Languedoc y eust aussi quelques | rencontres dez ungz
contre lez aultresAbrégé : aues durant | ceste annee.
Année 1562 : commentaire historique
Le début de la narration des événements de l’année 1562 est l’un des indices les plus probants d’une rédaction très postérieure de la chronique. À l’évidence, le scripteur sait que cette année-là ne fut que le début d’une longue, « sanguinolente et pernicieuse guerre civile du fait de la religion ». De fait, il commence le récit en campant les différents partis, évoquant une noblesse divisée,
, et un souverain dans l’ « adolessance », Charles IX, âgé de seulement onze ans au début des troubles. Il dénonce l’emprise des chefs réformés, d’abord Louis de Bourbon, prince de Condé et frère d’Antoine, le roi de Navarre, et ensuite le seigneur de Châtillon, amiral de France, c’est-à-dire Gaspard de Coligny. Les huguenots tiennent des villes, telles que Rouen, Lyon et Orléans : la dernière fut prise par Condé le 2 avril 1562, les citadins protestants se rendirent maîtres de la première le 15 et de la seconde à la fin du même mois.Le scripteur de la chronique décline ensuite les événements à l’échelle provinciale. En Languedoc, il désigne Jacques de Crussol (1540-1584), seigneur d’Acier et frère du comte Antoine de Crussol, comme chef du parti réformé. Il explique comment nombre de catholiques furent contraints de fuir les villes acquises aux huguenots : Montpellier, Béziers, Nîmes, Uzès, Agde et Beaucaire. Mais le scripteur est surtout choqué par la sécession du parti réformé qui, au cours de l’année 1562, tint en Languedoc des assemblées séparées, ainsi à Nîmes, du 2 au 13 novembre, où les délégués de quatorze villes (dont les six citées par la chronique) mirent sur pied une nouvelle organisation politique et choisirent justement le seigneur d’Acier,
. Il s’agissait là d’une , c’est-à-dire sans ordre, selon les conceptions du temps.L’auteur rapporte alors la contrattaque du vicomte Guillaume de Joyeuse. Lieutenant général au gouvernement de Languedoc, il leva une armée catholique et partit à la reconquête de la vallée de l’Hérault, s’emparant de Pézenas, Montagnac et Gignac au cours de l’été. Puis, en septembre, l’armée de Joyeuse campa devant Montpellier, faisant face à l’armée du seigneur d’Acier constituée, entre autres, de contingents venus du Dauphiné et de Provence. Après de nombreuses escarmouches, les deux camps se retirèrent sans victoire, les huguenots tenant toujours la ville. Le scripteur ne manque pas, alors, de citer la litanie des églises et couvents détruits dans les faubourgs de la ville, par le feu et la sape, par peur d’un siège qu’entreprendrait Joyeuse. Cette liste, maintes fois citée par la suite, fut, pour les catholiques, le véritable martyrologue de Montpellier.
Après cette évocation précise des destructions locales, le récit reprend de la distance, raconte comment Honoré de Savoie, comte de Sommerive, qui avait été fait lieutenant du roi en Provence pour éviter que les réformés ne s’emparassent de ce pays, fut sévèrement attaqué par ceux-ci au passage du Rhône, à Saint-Gilles, alors qu’il venait prêter main forte à Joyeuse, mais que ses assaillants furent à leur tour défaits près de Castelnau, juste avant d’atteindre Montpellier.
La narration s’achève enfin par un retour aux événements lointains. Le scripteur évoque ainsi la prise de Rouen par l’armée royale, à la fin octobre 1562, à l’issue d’un siège qui vit la mort d’Antoine de Bourbon,
, rallié à Charles IX. Il cite surtout la de Dreux, entre l’armée du roi et l’armée de Condé, qui eut lieu le 19 décembre 1562. Les réformés sont défaits au prix d’effroyables pertes de part et d’autre, que le Petit Thalamus chiffre à quinze mille hommes, sur trente-trois mille engagés. Le connétable de Montmorency fut fait prisonnier par les huguenots, le prince de Condé par les catholiques, tandis que le maréchal Jacques d’Albon de Saint-André, l’un des trois généraux catholiques laissa la vie sur le champ de bataille.Bibliographie :
Hugues Daussy, Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, Droz, 2014, 882 p.
Arlette Jouanna, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Laffont, 1998p. 101-131