L’an mil cinq cens soixante | huict, ceulx de ladicteAbrégé : lad relligion
maistrisans en la ville voyantz | n’y avoir poinct de consulz
administrans le public, et sans | attandre le temps ordonné du premierAbrégé : pmier jour de mars, | creerent de consulz de leur parti le vingt cinquiesmeAbrégé : cinquie | du moys de janvier scavoir est :
monseigneur Abrégé : monsr messireAbrégé : me Jehan de Lasset, conseillerAbrégé : coner au siege presidialAbrégé : psidial,
messireAbrégé : me[ ] Ortolan,
auditeur en la chambre dez comptez,
sire Jehan Miot, merchant,
messireAbrégé : me Jehan Dumas, chirurgien,
Jehan Janet, borrelier,
Francoys Bancal, laboureur.
Cependant que au Sainct Esprit et
du long de la riviere | du Rosne, la
guerre ce faisoict d’entre monseigneurAbrégé : monsr de | Joyeuse et catholicques et le susdict Abrégé : susdseigneur d’Accier et les siens, au comencement du mois
d’apvril suyvant vint a MontpellierAbrégé : Montpell ledictAbrégé : led d’Accier, auquel feurent | appourtees novelles commeAbrégé : come la paix estoict faicte | et le edict sur ce du XXIIIe de mars precedantAbrégé : pcedant | envoyé par hommeAbrégé : home expres conforme au premierAbrégé : pmier
[Fol. 545 v°]
__[a] En face
des quatres lignes suivantes figurent en marge gauche les quatre
lignes ci-jointesPublicationAbrégé : Publicaon | de la seconde | paix dicte la | petite et precedant, que differe a publier jusques | au
dernier jour dudictAbrégé : dud moys d’apvril et cependant | sans contredict ce peuple ce mit
a ruyner ce que | restoict de temples et esglises dans la ville pour
| priver les ecclesiasticques et catholicques de toute | retraicte pour l’exercisse de leur relligion, et | de faict
ruynerent a fleur de terre saulf quelques | pans de murailhe forte de
l’esglise parrochielle[b] Comprendre «
paroissiale ». | Sainct Fermin, Saincte Anne, Sainct Pol le petit, | SainctAbrégé : St Jehan, l’arc Sainct
Nicholas et l’Aguillerie, | SaincteAbrégé : Ste Catherine, beau monastere de religieuses |
près la porte de la
Blanquerie, SainctAbrégé : St Mathieu, SaincteAbrégé : Ste | Croix avec les maysons presbiteralles, SaincteAbrégé : Ste | Foy, SainctAbrégé : St Sebastian, du palays feurent descouvertz | et
toutes breschésBrescher :
Entamer par une brèche
(Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 6286). , , le palays et maysons de l’evesque | [c]En face de
la ligne suivante figure en marge gauche les deux lignes
ci-jointesTemples du dedans | de la ville ruynés belle et grande dicte la salle, la porte de la | Salle
feust toute razee saulf quelques murailhes | et desdictzAbrégé : desd ediffices toutes la mostie[d] Comprendre «
moitié ». de boix, fer, | pierre et aultreAbrégé : aue saccagee et pillee et transportee, | la grand esglise NostreAbrégé : Nre Dame et ce beau clochier n’en | feurent
exemptz qu’a grand difficulté par | l’enhorbationAbrégé : enhorbaonEnhortation :
exhortation, substantif du verbe d'enhorter
(Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 27336). , d’aulcungz, mays la grand cloche | y
estant au clochier appertenant a la ville | et que seulle d’entre tant
de doutzaines d’ aultresAbrégé : aues | avoyt resté dez premiers trobles feust mise | en piecces et le
mectail enporté, si qu’en toute __
[Fol. 546 r°]
__ la ville en seulloictSouloir : avoir coutume (Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 50065). , avoir plus de cent cloches
| n’y en demeure que le orloge et celle du consollat, et | faictz
ces preparatifz commeAbrégé : come dict est l’on publia | ladicteAbrégé : lad paix, quelques jours appres la publicationAbrégé : publicaon | de laquelle le seigneur de la Crozette, guydonGuidon : porte-étendard
d'une compagnie de grosse cavalerie (Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014],
44021). , de la | compaignie de
gensdarmes de monseigneurAbrégé : mons de Dampville, | feust accepté pour gouverneur
avec deux compaignies | de gens de pied en garnison et par ce moyen y
| feust remise la messe et service divin et | le semblableAbrégé : semble feust faict ez villes de Nismes, Somieres, | Lunel et aultresAbrégé : aues jusques au Sainct
Esprit, et vescu | asses paysiblement jusques envyron la fin
de | juillet, qu’entandans les consulz et habitantz de | MontpellierAbrégé : Montpell quelques aultresAbrégé : aues compaignies a cheval | et a pied aller et venir ez envyrons de
la ville, et ce | doubtans de surprinse, le vingt septiesme dudictAbrégé : dud | juillet s’esmuvant[e] Comprendre «
se mettant en mouvement ». en armes grand nombre qu’ilz | estoient dont ledict Abrégé : ledseigneur de la Crozette c’estant | avec ses
compaignies saizi du palays et de |
tout ce cartier jusques aulx portes dez
Carmes | et la Blanquerie qui
tenoyt pour fere entrer | les forces et ceulx de la ville, tenantz tant
le | demeurant et faictes tranchees au plus près | du palays et rues
tenues par ledictAbrégé : led gouverneur | feust ce jour ladictAbrégé : lad ville en grandissime dangier __
[Fol. 546 v°]
__ car le premierAbrégé : pmier qu’eust tiré arquebuzade y eust | merancheux chapplisChaplis :
coup
(Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 8526). ,
avec hazard que le | victorieux eust saccagé la ville, ce que Dieu ne
| permist, ains par la preudence dudict Abrégé : dudseigneur de la | Crozette, aydee de celle
d’aulcungz gentilhomes | et principaulx de ladicteAbrégé : lad relligion, passa la chose | sans aultreAbrégé : aue tumulte et feust accordé que ceulx de ladicteAbrégé : lad | [f] Le mot a été
rajouté en marge gaucherelligion s’en hyroient avec leurs armes et aultresAbrégé : aues chouses, | qui aller s’en vouldroient et aulx aultresAbrégé : aues seroict | faict tout bon traictement et layssé la liberté
| de leur relligion suyvant le edict. Parquoy | ce mesme jour,
hactivement sarré[g] Comprendre «
serré ». bagaige | et dict adieu a leurs amictz, sur le soir s’en
sortirent | les ministres, consulz, gentilhomes et aultresAbrégé : aues | jusques au nombre de doutze a quinze cens | parsonnes armés et non
armés, plusieursAbrégé : plusrs avec | leurs femmesAbrégé : femes, enfantz et bagaige, toutz sortantz | par la porte de Lattez, prenantz leur chemin
vers | les Cevenes, ausquelz
neanlmoingz ledict Abrégé : ledseigneurAbrégé : sr | de la Crozette fist escorte et compaignie bien loing
| de la ville toute nuict, estantz demeurés en ladicteAbrégé : lad | ville de ladicteAbrégé : lad relligion tant seullement quelques | ungz et ainsi feust ce
jour deslivree la ville | du pouvoir desdictz Abrégé : desdhuguenotz de ceste facon et en | memoyre de ce
ordonnee en appres ceste feste cedictAbrégé : ced jour vingt septiesme de juillet avec procession. __
[Fol. 547 r°]
__ Le penultiesme dudictAbrégé : dud mois, monseigneurAbrégé : monsr de Joyeuse, acompaigné | de grand noblesse en
armes, vint en ladicteAbrégé : lad ville et en sa | compaignie les ecclesiasticques et
catholicques fuytifz[h] Comprendre «
fugitif ». | pour les troubles, et venu qu’il feust il revint en charge | monseigneurAbrégé : monsr Robin et aultresAbrégé : aues consulz qui estoient au comencement | [i] en marge du texte,
à gauche, figure une accolade assemblant les quatre lignes
suivantes de ses troubles et a la Sainct Michel, et par ce
moien | cessa l’exercice de ladicteAbrégé : lad relligion novelle audict Abrégé : audMontpellierAbrégé : Montpell, | et de mesmes feust faict a Nismes, Uzes, Baignolz, | SainctAbrégé : St Esprit et aultresAbrégé : aues lieux du pais plat, | desquelles lesdictzAbrégé : lesd huguenotz vuyderent, ce retirantz | en Cevenes et aultant en France ou monseigneurAbrégé : monsr le prince | de Condé recullies toutes ses
forces et encores faict | [j] Ajout en
marge gauche sans insertion dans le texteTroysiesmeAbrégé : Troye | guerre civille entrer a son secours grandz trouppes
d’Allementz | protestans, en nombre de doutze ou quinze mil hommesAbrégé : homes | a cheval et a pied dictz reystres[k]Comprendre «
reîtres ». les gens a cheval, | pistolliersPistolier : cavalier armé d'un pistolet (Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 74187). , hommesAbrégé : homes rudez et viollantz soubz la charge | du duc de Deux
Pontz, avec la royne de Navarre, et son | filz le prince tenantz ce parti leva lez armes et |
s’en alla en Guyenne, a La Rochelle, port de mer | tres fort,
Angolesme et aultresAbrégé : aues villes tenues parAbrégé : p la | relligion ou toutz les huguenotz du royaulme cappables
| de porter armes l’allarent trouver, mesmes | monseigneurAbrégé : monsr d’Accier avec toutes leurs forces de | Languedoc, Daulphiné et Provence d’envyron | quinze mil hommes, le
roy d’aultreAbrégé : auepartAbrégé : pt | fist suyvre ledictAbrégé : ledprince par grand armee | commandee par
monseigneur le duc d’Anjou, __
[Fol. 547 v°]
__ son frere et lieuctenantAbrégé : lieucten general, devers lequel feust | mandé aller monseigneurAbrégé : monsr de Joyeuse avec les forces de | Languedoc, layssés ez villes dez
gouverneurs avec | garnisons commeAbrégé : come a Montpellier, le
baron de Castelnau | de Guez lez Pezenas, chevallier de
l’ordre du roy, aupres | duquel feust par ledict Abrégé : ledseigneur de Joyeuse avant | son partement[l]Comprendre «
départ ». estably ung conseilh de doutze personaiges | de toutz estatz,
tant ecclesiasticques, noblesse que | aultresAbrégé : aues, pour provoir[m]Comprendre «
pourvoir ». a toutz affaires soubz ledictAbrégé : led gouverneur | dict le conseilh de la guerre, et ainsi feust
toute | la guerre transportee en Guyenne. Le dix neufviesmeAbrégé : neufvie | d’octobre feust a MontpellMontpellier publié ung edict du | roy du vingtcinquiesme de septembre precedent | par
lequel sa magesté decclaroict ne voulloir | en son royaulme qu’une
relligion, l’antienne[n]Comprendre «
ancienne ». | catholicque romayne, chassant lez ministres | de la novelle et
oultre ne ce voulloir servir | dez officiers qui en estoient et aultresAbrégé : aues poinctz | y contenuz.
Année 1568 : commentaire historique
La chronique de l’année 1568 est le carrefour de trois mouvements étroitement imbriqués.
1. Le premier est la poursuite du conflit religieux opposant les protestants aux catholiques et alternant trêves et reprises des hostilités. C’est dans cette dynamique du conflit qu’il faut comprendre la référence explicite à la paix de Longjumeau, signée le 12 mars 1568 et restaurant l’édit d’Amboise dans toutes ses clauses. L’annonce de cette paix jugée
est faite à Montpellier par l’un des principaux belligérants réformés de la province, le seigneur d’Accier. Mais elle provoque une nouvelle insurrection urbaine marquée par des actes iconoclastes, ce dont le greffier, des plus catholiques, entreprend le récit détaillé, partisan et a posteriori. En s’en prenant aux lieux de culte catholiques, l’action des réformés réaffirme l’exclusivité du protestantisme dans l’espace public montpelliérain. Si les cloches de l’horloge et de Notre Dame des Tables sont épargnées, c’est en tant que propriétés de la communauté et voix politique de celle-ci. Mais le coup d’éclat est sans lendemain. Imposé par le pouvoir royal, guidé par le duc de Joyeuse, le retour des catholiques réfugiés dans les localités environnantes, notamment Balaruc, provoque le départ, par crainte des représailles, des familles protestantes de la ville pour les Cévennes, ou leur retour à la foi romaine, en particulier chez les officiers (Aigrefeuille : 1568). En l’absence de cohabitation possible et sous le règne de la peur, Montpellier semble ainsi se vider ou s’emplir des partisans de l’une des confessions à la faveur des événements, des rapports de force ou des décisions royales.2. Cette prise de possession par la violence de l’espace urbain apparaît aussi comme une vaine réaction d’autonomie face à un deuxième mouvement dont les effets ne cessent de s’accentuer. Le greffier du Thalamus place cette année 1568 sous l’égide d’un pouvoir consulaire exclusivement protestant, partisan et en dehors des coutumes institutionnelles. Mais il tait l’essentiel : le pouvoir consulaire est aux ordres des puissants lignages locaux et des petits entrepreneurs en guerre. En effet, non seulement l’entrée en fonction précède la date accoutumée de quelques jours, mais, assure Aigrefeuille, c’est le seigneur d’Accier, chef militaire protestant se servant du conflit militaire comme d’un tremplin politique, qui décide du choix des consuls ; et si la date d’entrée en charge des consuls est avancée c’est qu’il doit se rendre au Pont Saint-Esprit (Aigrefeuille : 198). Si le récit de ces années n’a pu être assuré avant la fin du XVIe siècle, c’est avant tout en raison d’un pouvoir local affaibli, dans l’incapacité politique de produire un sens commun. Le consulat n’est pas la seule institution locale à passer sous les ordres des belligérants. Le seigneur d’Accier, toujours lui, fait par exemple financer par les États de Languedoc la solde de ses troupes. Les conséquences de cet assujettissement des pouvoirs publics locaux aux intérêts privés des partis signent l’échec des pouvoirs locaux et royaux et expliquent en partie la durée de ce conflit, car la solidité du système fiscal assure un financement régulier pour armer et payer des troupes.
3. Le troisième mouvement visible dans ce récit de l’année 1568 est le décloisonnement de l’espace du conflit inscrivant localement les effets de la guerre, tout en participant du déplacement et de l’extension de celle-ci. Le Thalamus renseigne trois échelles spatiales, celle locale, appréhendée à travers le relevé topographique des églises et des couvents brutalisés par les protestants, celle régionale où Montpellier est le témoin proche des faits d’armes des seigneurs de guerre de la province, en particulier au Pont Saint-Esprit, à la fois pont et verrou du Languedoc, celle enfin du Poitou et de la Rochelle, où se rendent les troupes protestantes levées sur les deniers de la province pour prêter main-forte à Condé et Coligny, suivies par le duc de Joyeuse, gouverneur de Languedoc, qui va, de son côté, grossir les troupes du duc d’Anjou (le futur Henri III), pour remporter la victoire de Jarnac sur les protestants (13 mars 1569 : voir l’année 1569). Condé y perd la vie et cède, bien malgré lui, sa place à Coligny et Navarre. Cette défaite a deux conséquences. Les belligérants cherchent davantage d’appuis à l’extérieur, en Espagne pour les ligues catholiques et chez les princes de Rhénanie pour les cercles protestants, ce qui favorise encore la longévité du conflit. Deuxième conséquence, le parti protestant, désormais affaibli à Montpellier et en partie en exil est supplanté par le duc de Joyeuse, qui confie le gouvernement de la province à un homme lige. Finalement, si les têtes changent, le pouvoir consulaire reste aux ordres.
Bibliographie :
Charles d’Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier depuis son origine jusqu’à notre temps, Montpellier, chez Jean Martel, 1737, vol. 1p. 295-301.
Claude Devic et Joseph Vaissète, Histoire générale de Languedoc, édition 1730-1745Livre XXXIX, p. 290 et sqq.
Arlette Jouanna, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Laffont, 1998
Pierre-Jean Souriac, Une guerre civile : affrontements religieux et militaires dans le Midi toulousain, 1562-1596, Seyssel, Champ Vallon, 2008, 446 p.