L’an mil cinq cens septante | deux feurent
consulz, |
monseigneur Abrégé : monsrmessireAbrégé : me Jehan Leclerc, consillier au siege presidialAbrégé : psidial,
noble Hugues Cathelin,
messireAbrégé : me Jehan Perdrix, chirurgien,
Jehan Laye, merchant,
Jehan Beneseich,
Anthoine Serre dict Montaignete. Celle annee, pour entretenir davantaige __
[Fol. 552 r°]
__ les habitantz de ladicteAbrégé : lad ville dez deux relligions en | amytié et concorde,
le roy envoya audict Abrégé : audMontpellierAbrégé : Montpell | pour la main forte et commander a son nom sans | garnison
toutesfoys le seigneur dez Urcieres, | chancellier
de son ordre, natif de la ville de la | mayson dez Urcieres ou de
Gaudete, seigneur | de la Vaulsiere, et pour surintendant a la |
justice le seigneur de Bellievre, l’ung dez |
presidantz au parlement de Grenoble,
et a mesmes | fins par ses lecttresAbrégé : lres commandé a quelques ungz | de chesque religion et dez
principaulx s’absenter | de la ville par quelque temps, induysant par
| ceste maniere en ladicteAbrégé : lad ville l’ostrarisme dez Athoniens[a] Comprendre «
l’ostracisme des Athéniens ».. | En ladicteAbrégé : lad annee pour plus grand signifficationAbrégé : signifficaon | de la recourchation[b]Comprendre «
réconciliation ». dez deux relligions en ce royaulme | feust faict le mariatge de monseigneurAbrégé : monsr Henry, prince de | Navarre, cy devant nommé de ladicteAbrégé : lad novelle relligion, | filz de monseigneurAbrégé : mons Anthoine de Borbon, duc de Vendosme, | deccedé
au siege de Rouen ez premiers troubles,
| et de madame Jehanne d’Allebret, royne | de
Navarre, avec madame Marguerite de | France,
seur du roy, la solempnité duquel | mariatge ordonné, despuisAbrégé : desps faicte a Paris | au moys d’aoust dudictAbrégé : dud an, y vindrent et | cy assamblarent ladicte Abrégé : ladroyne de Navarre, __
[Fol. 552 v°]
__ledictAbrégé : led prince, son filz, le prince de
Condé, son | cousin, l’admiral de
Chastillon, le comte de la |
Rochefocaud et presque toutz les plus grandz | seigneurs
gentilhomes et cappitaines de ladicteAbrégé : lad | relligion novelle de tout le royaulme, avec | le plus grand arroyArroy : pour aroi, ou
arroi, arrangement, disposition, en particulier disposition militaire pour le combat,
ordre de bataille, équipement (Dictionnaire de la langue
française du seizième siècle, Paris, Honoré Champion, 1925 ; édition
électronique Garnier [consulté en octobre 2014],
4684). , et
magnifficque apparat | qu’ung chascungAbrégé : chung avoyt peu[c] Comprendre «
pu ». pour honorer ceste | feste et allumer tant agreable a ung chascungAbrégé : chung | et en la ville cappitalle du royaulme que | lesdictzAbrégé : lesd de la relligion piecca[d] Comprendre «
piéça », c’est-à-dire « depuis longtemps ». n’avoient frequenté, | attandant le jour de laquelle feste ladicte Abrégé : ladroyne | de Navarre surprinse de malladie trespassa
de | ce monde et deslors ledict Abrégé : ledseigneur prince feust | nommé roy, les nopces en
appres solempnement | et en sorte royalle faictes envyron la my |
aoust susdictzAbrégé : susd. Ung vendredy vingt deuxiesme | dudictAbrégé : dud mois, ledict Abrégé : ledseigneur de Chastillon, admiral | de France, venant
du Louvre de chez le
roy | et allant a son lotgis près SainctAbrégé : St Germain de | l’Auxerrois, feust blessé d’ung
coup d’arquebuzade | et porté a son lotgis et le dimanche ensuyvant
| vingt quatriesme dudictAbrégé : dud aoust, jour Sainct BarthelemyAbrégé : Barthe | heures de matines, feust excité ung tel tumulte | a Paris que ledict Abrégé : ledadmiral, le comte de Rochefocaud
[Fol. 553 r°]
__ et tant d’aultresAbrégé : aues qu’on peult trouver de ladicteAbrégé : lad relligion | feurent mis a mort, et non les estrangiers
seullement | mays dez principaulx de la ville une infinité, | si que
ne feust perdonné que Abrégé : qaudict Abrégé : audroy de | Navarre ou prince de
Condé et quelques aultresAbrégé : aues | commeAbrégé : come le seigneur d’Accier, expeciallement saulvés.
| Le trentiesme dudictAbrégé : dud moys feust la novelle de cest | accident sceue[e]Comprendre «
sue ». a MontpellierAbrégé : Montpell et incontinant lez | armes prinses par
les catholicques craignantz | d’estre avancés par
les huguenotz, lesquelz, au | contraire ez lieux
ou ilz ce treuvarent lez plus | fortz commeAbrégé : come a Nismes, Uzes, Somieres et en | Sevenes en firent aultant, ce tenantz
sur leur | garde et ainsi comenca en ce royaulme | la quatriesme
guerre civille pour le faict | de laquelle sur la fin du moys d’octobre
| suyvant monseigneurAbrégé : monsr le mareschal de Dampville | feust par le roy envoyé en ce pays et | QuatriesmeAbrégé : Quatrie guerre | civille[f] Ajout en
marge de gauche sans insertion dans le texte s’arresta en la ville de
Beaucayre jusques | aulx festes de Noel, que fist
assambler | lez estatz du pays audict Abrégé : audMontpellierAbrégé : Montpell pour | provoir[g] Comprendre «
pourvoir ». en ceste guerre.
Année 1572 : commentaire historique
L’année 1572 commence d’abord par la poursuite de l’effort de réconciliation ; à Montpellier, le seigneur d’Ursières, gouverneur de la ville, œuvre pour la paix civile. La présence d’un juge extérieur à la ville, le seigneur de Bellièvre, président au parlement de Grenoble, vise aussi à la réconciliation en mettant en œuvre une justice aveugle aux statuts et à la confession des justiciables. Ces efforts de paix sont brisés par la Saint Barthélémy dont le Thalamus rappelle l’enchaînement des faits. Est d’abord célébré le 18 août 1572 le mariage de Marguerite de Valois, septième enfant d’Henri II et de Catherine, sœur de François II, Charles IX et d’Henri III, et Henri de Navarre, deuxième fils d’Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret, héritier du royaume de Navarre, et cela pour la conciliation des deux religions. Mais ce mariage commence dans le deuil et finit dans le sang. Le décès de Jeanne d’Albret le 9 juin 1572 affaiblit d’abord le parti protestant et jette un voile noir sur des noces « politiques ». Surtout, entre le 22 et le 24 août sont assassinés à Paris les principaux chefs militaires du parti protestant venus à la noce censée consolider la paix religieuse. Coligny, la première victime, reçoit un coup d’arquebuse le 22 au soir. Agonisant, il est ensuite poignardé, défénestré, dépecé, jeté à la Seine et pendu par les pieds la nuit du 24 août. Alors que la nouvelle se répand, la rumeur entraîne la ville dans un massacre sans précédent. Sur les trois à quatre heures du matin, les cloches d’alarme sonnent dans la capitale. Le bruit s’est répandu que le roi avait permis d’égorger tous les huguenots et de piller leurs biens et leurs maisons. Vers onze heures du matin, le roi publie un mandement pour arrêter le massacre. Certains nobles en réchappent de justesse, Henri de Navarre, le prince de Condé ou le languedocien seigneur d’Accier, placés sous la protection qui de la famille royale, qui d’abjurations de circonstance. Le mardi 26 août, Charles IX tient un lit de justice pour endosser la responsabilité du massacre justifié par un complot dont se seraient rendus coupables les chefs protestants assassinés. Ainsi, le roi s’assure du salut de l’État face à un bain de sang qu’il n’a pas pu empêcher. Le massacre parisien donne le coup d’envoi des massacres en province à mesure que la nouvelle parvient dans les villes du royaume : Orléans (nuit du 25 au 26 août), Meaux, La Charité sur Loire, Lyon (31 août), Troyes, Bourges (11 septembre), Rouen (17-21 septembre), Bordeaux, Toulouse (4 octobre), Gaillac, Albi, Rabastens… alors que Charles IX a publié dès le 17 septembre une ordonnance royale pour mettre un terme aux massacres.
Le 30 août la nouvelle vient frapper aux portes des villes du Languedoc. Elle provoque des prises d’armes non pour massacrer, mais pour prévenir tout massacre. C’est la peur qui arme, c’est elle qui met ces villes en état de veillée sanglante. Nîmes, Uzès, Sommières voient s’armer les protestants ; à Narbonne, Béziers et Montpellier, ce sont les catholiques qui prennent les devants. Mais dès l’annonce du massacre, le duc de Joyeuse demande aux gouverneurs des villes de prévenir tout bain de sang. Le sieur d’Ursières, beau-frère de Joyeuse, semble y avoir veillé avec efficacité en collaboration avec le seigneur de Bellièvre. Il est demandé aux protestants de s’enfermer chez eux, de trouver refuge dans la prison, ou de partir. En effet, les catholiques, par crainte d’un massacre ont aussi pris les armes. Le même conseil est adressé aux réformés des localités proches de Montpellier comme Mauguio ou Sommières, pour que chaque parti garde son calme. C’est cela que le Thalamus, renouant avec l’Antiquité, appelle l’ostracisme des Athéniens. Le 14 septembre, le seigneur de Bellièvre annonçait que la paix était maintenue dans la ville. Mais le récit du Thalamus, écrit a posteriori, voit déjà les ferments de la guerre se lever et l’annonce des massacres des réformés à Toulouse et dans les villes proches (Albi, Gaillac), sous l’autorité du Parlement de Toulouse, qui conduit à la prise d’armes des réformés en Languedoc, dans la partie orientale de la province d’abord (Nîmois, Cévennes, Vivarais), puis à Montauban et en Albigeois. Des villes sont enlevées. Le roi convoque des états provinciaux extraordinaires à Montpellier pour lever de nouveaux subsides et ramener le calme dans la province (18 novembre 1572), en levant 10 à 12 000 hommes. Le roi mobilise pour cela les 50 000 livres octroyés par le Languedoc sur la crue du sel, ainsi qu’un emprunt de 300 000 livres, remboursables sur la confiscation des biens des insurgés. La monarchie apparaît bien, une fois de plus, les caisses vides et d’autant plus aux abois que le siège de la Rochelle, projeté depuis le mois de novembre et commencé en décembre 2012, met les finances royales à sec. L’année 1572 commencée sous le règne de la paix, s’achève ainsi en état de guerre.
Bibliographie :
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Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion vers 1525-vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990, 2 tomes ; rééd. 2005.
Denis Crouzet, La nuit de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance, Paris, Fayard, 1994.
Claude Devic et Joseph Vaissète, Histoire générale de Languedoc, édition 1730-1745Livre XXXIX, tome V, p. 312-315.
Barbara B. Diefendorf, Beneath the Cross: Catholics and Huguenots in Sixteenth-Century Paris, New York / Oxford, Oxford University Press, 1991, 272 p.
Jérémie Foa, « La Saint-Barthélemy aura-t-elle lieu ? Arrêter les massacres de l’été 1572 », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, n° 24, 2012, p. 251-266.
Janine Garrisson, La Saint-Barthélemy, Bruxelles, Complexe, 1987, 219 p.
Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy : Les mystères d’un crime d’État, 24 août 1572, Paris, Gallimard, 2007, 407 p.