L’an mil cinq cens septante | trois feurent
consulz, |
messire Loys de Bucelly, baron de La Mousson,
| chivallier de l’ordre du roy
monseigneur Abrégé : monsmessireAbrégé : me Michel de Bonnefoux, docteur ez
loix,
sire Estienne Plantade, merchant,
Anthoine Aoust, merchant,
Jehan de L’hostal, jardinier,
Gillibert Carbonnier, laboureur.
Au commancement de ceste annee monseigneur | le duc
d’Anjou feust envoyé par le roy | avec grosse armee pour assieger La
Rochelle | et la remectre a l’hobeyssanceAbrégé : hobeyssan du roy, estant | ladicteAbrégé : lad ville occupee par ceulx de ladicteAbrégé : lad relligion. | Au moys de febvrier audictAbrégé : aud an, nasquist | au roy Charles neufviesmeAbrégé : neufvie son premierAbrégé : pmier enfant | que feust une fille nommee Marie
en la ville | de Paris. En
Languedoc, monseigneurAbrégé : mons de Dampville | dressa camp et assiegea Somieres, ville et | chateauAbrégé : chau tres fort occuppé par lez huguenotz, ou | ayant demeuré devant
plus de six sepmaynes | et donné deux assaultz soubztenuz par les |
assiegés, en fin sur le commencement d’apvril | luy feust ladicteAbrégé : lad ville randue, vies et baguesBagues : tous les
meubles qu’on a les plus précieux […] ou autres choses en petit volume. Ainsi on
dit dans les compositions qu’on fait aux gens de guerre qui se rendent, qu’ils
sortiront vie, et bagues sauves, pour dire, avec tout ce qu’ils pourront
emporter
(Dictionnaire universel,
La Haye ; Rotterdam, 1690 ; édition électronique Garnier [consulté en octobre
2014], 1786). ,
[Fol. 554 r°]
__ saulves, appres y avoir esté
perduz dez catholicques | envyron sept a huict centz hommes et plusieursAbrégé : plusrs | grandz personnaiges commeAbrégé : come le comte de Candalle, | cappitaineAbrégé : cappne de cinquante hommesAbrégé : homes d’armes, beaufrere | dudictAbrégé : dud seigneur mareschalAbrégé : maral, le seigneur de Villeneufve | chivallier de l’ordre du roy, lieuctenantAbrégé : lieucten de la compaignie | de gensdarmes de monseigneurAbrégé : monsr de Joyeuse et aultresAbrégé : aues | beaucoup. Recouvré Somieres, ledict Abrégé : ledseigneur | mareschalAbrégé : maral rompist son camp, dispousant les | garnisons parAbrégé : p le pays. Les huguenotz au | contraire
surprindrent Montlaur lez MontpellierAbrégé : Montpell | et la cité de Lodeve y faisant
grand butin. | Au moys de jung, monseigneur d’Anjou
estant | devant La Rochelle
sans le pouvoir forcer | finablement fist paix avec eulx, tant pour eulx
| que toutz leurs adherantz du royaulme, et s’en | retorna ledictAbrégé : led seigneur en court et en la ville | de Paris ou vint une grand et magnifficque | ambassade du
royaulme de Poloigne, tres opullant
| et grandz entre toutz les septemtrionalz, apportant | audict Abrégé : audseigneur duc d’Anjou l’election faicte | de sa parsonneAbrégé : psonne pour leur roy, luy presentantAbrégé : pntant | la couronne qu’il accepta avec grand solempnité | et alegresse
publicque et deslhors feust | dict roy de Poloigne. En Languedoc, monseigneurAbrégé : monsr
[Fol. 554 v°]
__ le mareschal accorda la
tresve et suspencion | d’armes a ceulx de la relligion, publiee a
MontpellierAbrégé : Montpell | le sixiesmeAbrégé : sixie d’aoust. Cependant qu’ilz envoyarent | devers le
roy pour luy remonstrer aulcungz | poinctz sur ledictAbrégé : led edict de La Rochelle
qu’ilz ne | voulloient accepter simplement, d’aultant que | par icelluyAbrégé : icell n’estoict permis l’exercice de ladicteAbrégé : lad | relligion publicquement qu’en troys villes | du royaulme,
La Rochelle, Montaulban et Nismes, | et quant aulx officiers estantz de ladicteAbrégé : lad | relligion ceulx desdictezAbrégé : desd troys villes estoient | reservés toutz les aultresAbrégé : aues du royaulme | privés, et plusieurs Abrégé : plusrsaultresAbrégé : aues poinctz y avoyt audictAbrégé : aud | edict partie conformes aulx precedantz edictz | partie de noveau
non au gré desdictzAbrégé : desd de la | relligion, par quoy leur feust octroyé | de
pouvoir aller devers sa magesté, cependant | ledictAbrégé : led edict feust publié a MontpellierAbrégé : Montpell le tretziesmeAbrégé : tretzie | dudictAbrégé : dud moys de septembre et finy ledictAbrégé : led temps | de ladicteAbrégé : lad tresve, icelle proroget plusieurs foys. | Et l’automne dudictAbrégé : dud an partit de France | le roy de Poloigne pour aller prandre | poccession
de son royaulme passant par | lez Allemaignes. Et durant ses jours __
[Fol. 555 r°]
__ feust a MontpellierAbrégé : Montpell une trahison pendant la tresve | entreprinse
par ceulx de ladicteAbrégé : lad relligion fuytifz[a]Comprendre «
fugitifs » , par | le moien d’aulcungz dez leurs habitantz en la ville, |
laquelle trahison, moneigneurAbrégé : monr le mareschal estant | dans ladicteAbrégé : lad ville, descouverte parAbrégé : p la grace de | Dieu, feurent aulcungz dez entrepreneurs saizis
| et punys a mort. En ce temps et pour la feste | NostreAbrégé : Nre Dame de decembre feust par messieurs | lez consulz acquise une
grosse cloche et mise | au clocher NostreAbrégé : Nre Dame ou despuys lez secondz | troubles n’en
avoyt eu.
Année 1573 : commentaire historique
L’année 1573 met en évidence trois phénomènes, déjà rencontrés au fil de la chronique mais dont la conjonction simultanée donne une couleur particulière à cette année. Le premier est la volonté de Montpellier de s’associer, comme toute bonne ville, à la vie de la monarchie, en participant aux événements marquant la famille royale. Ainsi, le Thalamus mentionne la naissance du premier et seul enfant du couple royal formé de l’union de Charles IX (1550-roi en 1560-1574) et d’Élisabeth d’Autriche (1554-mariage en 1570-1592), mais la fillette, appelée Marie-Elisabeth, s’éteindra en 1578. Le deuxième fait marquant relevé par le Thalamus est l’élection du duc d’Anjou comme roi de Pologne. Cette monarchie, où le roi est élu par une diète réunissant la noblesse, est depuis 1569 une confédération réunissant d’un côté la Pologne et de l’autre le grand-duché de Lituanie, lequel s’étend sur une partie des actuelles Biélorussie, Ukraine, Russie et Lettonie. De facto, c’est l’un des plus grands royaumes d’Europe, quoi que sous-peuplé. Le trône est vacant depuis la mort à Knyszyn de Sigismond II Auguste, dont la dynastie des Jagellon régnait de manière quasi ininterrompue et quasi héréditaire depuis 186 ans. L’élection d’Henri de Valois est d’abord une réussite diplomatique de la reine-mère, Catherine de Médicis, et de son ambassadeur, Jean de Monluc, évêque de Valence. Mais le nouveau roi doit signer les Pacta Conventa et les « Articles du Roi Henry » (Artykuły Henrykowskie) qui limitent considérablement son pouvoir et lui imposent de mettre un terme aux persécutions contre les protestants en France et de respecter la tolérance religieuse dans son nouveau royaume. Henri de Valois apprend son élection en mai, lève le siège de la Rochelle le 6 juillet et quitte le royaume de France en compagnie d’une importante délégation polonaise à la fin du mois d’août, pour devenir Henry Walezy. Il n’y reviendra qu’à la mort de Charles IX pour ceindre la couronne royale.
Le deuxième phénomène est la puissance des liens de parenté qui forment la principale trame de la société de l’époque moderne. Les ralliements, les partis-pris, les fidélités et les clientèles sont dans la plupart des cas liés au sang et au mariage. Ces liens apparaissent de l’en-tête au pied de la chronique et expliquent bien souvent la participation des acteurs à tel ou tel parti, dans la vie comme dans la mort. Ainsi, le gouverneur de Montpellier est le beau-frère du lieutenant-général ; ainsi, Henri de Foix, comte de Candalle, qui fait partie des victimes du siège de Sommières, est le beau-frère de Montmorency. Ces liens sont vitaux dans une société où la vie est fragile et les solidarités essentielles, et cela à tous les étages de cette société d’ordres. A rebours, la guerre civile n’en apparaît que plus traumatisante en déchirant des parentèles, des affiliations, des amitiés. Si toute la société est concernée directement ou indirectement par le conflit religieux, ce sont les entrepreneurs de guerre, les petits nobles comme les grands lignages, qui sont les premiers touchés.
En effet, cette quatrième guerre de religion (1572-1573) mobilise et élabore tout à la fois l’appareil d’État pour lui assurer les besoins financiers, logistiques et techniques à la mesure d’un conflit qui n’en finit pas. Les sièges de la Rochelle, de Sancerre et de Sommières durent plusieurs mois et nécessitent des ressources en hommes, en argent, en ravitaillement et en artillerie considérables. Le siège emblématique de la Rochelle est mené par la fine fleur de la grande noblesse : le duc d’Anjou, son frère, François d’Alençon, Henri de Navarre et le prince de Condé, soutenu par l’artillerie d’Armand de Gontaut-Biron et de 5000 fantassins et 1000 cavaliers. Le siège dure six mois et endure l’échec de huit grands assauts meurtriers. Cette poliorcétique particulièrement lourde génère dans le même temps une bataille d’opinion à coups de pamphlets ou de représentations panégyriques à travers l’Europe qui délimite le tracé en pointillé d’une Europe protestante face aux puissances catholiques. Si Elisabeth Ière d’Angleterre condamne la rébellion de la ville, cela ne l’empêche pas de la soutenir en sous-main et de la faire ravitailler par voie de mer. Alors même qu’aucun grand noble ne défend la ville, les troupes royales échouent à prendre la ville et préfèrent lever le camp, notamment parce que les caisses sont vides. De plus, le duc d’Anjou est appelé à rejoindre le trône de Pologne pour lequel l’arrêt de la lutte contre les protestants est une condition des Artykuły Henrykowskie.
Le siège de Sommières constitue un autre temps fort du récit de cette année par la chronique française. Enlevé par les protestants, le château de la ville résiste à un siège de quatre mois éprouvants, notamment en raison de conditions météorologiques difficiles. Les récits successifs, parfois récurrents, déplorent les pertes d’une partie de la noblesse, tandis que le premier siège de la ville s’achève par la reddition honorable de la ville. La chronique suit alors Montmorency qui gagne Montpellier et dispose ses troupes aux alentours, craignant, à juste raison, des initiatives des réformés. Ceux-ci prennent les localités peu défendues (Montlaur), ou usent de la ruse (Lodève). Ce processus contribue à un nouvel émiettement du conflit, accélérant la contagion belliqueuse. Celle-ci est nourrie de la crainte des complots et des trahisons qui pourraient ouvrir la ville à l’ennemi et qui font régner un climat de suspicion généralisée. Ainsi, le Thalamus témoigne de l’échec d’un complot au mois de décembre, incriminant un laboureur prétendument de la religion réformée, dont le crime aurait été de s’être entendu avec des artisans – eux aussi réformés – pour ouvrir nuitamment la porte de Lattes, au moyen de fausses clefs, afin d’y faire entrer des religionnaires et prendre la ville. Le complot est éventé car les assaillants présomptifs ne se trouvent pas devant la porte à l’heure convenue, ce qui fait repérer les comploteurs de la ville par le guet. La plupart en réchappent ; le maçon, le laboureur et un valet d’un serrurier de la ville sont toutefois attrapés, tenus pour responsables et exécutés. Mais cette justice exemplaire, qui vise à frapper les consciences et à inspirer l’horreur, doit mettre un terme à sa répression tant les huguenots encore dans la ville contestent la brutalité des autorités, qui semble d’autant plus intolérable que la paix du roi a été promulguée. C’est donc une année qui s’achève entre chien et loup, comme une veillée d’armes autour d’une énième paix (édit de Boulogne du 11 juillet 1573), tout aussi fragile et temporaire que les précédentes. Si elle renouvelle les dispositions du traité d’Amboise et enlève aux protestants les places de sûreté de Cognac et de La Rochelle, elle est de facto rejetée par les protestants qui demeurent en armes.
Bibliographie :
Charles de Baschi, marquis d’Aubais, Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France, Paris, Chaubert, 1759, tome 1, p. 23- 24 ; cette chronique anonyme fait l’Histoire de la guerre civile en Languedoc depuis 1560, en cinquante-six pages, mais traite le siège de Sommières en quelques rapides paragraphes, un autre récit très détaillé est effectué par Giry, qui décrit les deux sièges de la ville dont il est originaire (1573 et 1575) ; la chronique dite de Philippi livre une description très proche de celle du Petit Thalamus (cf. Louise Guiraud [ci-dessous], tome 2, p. 156 : l’expression est par exemple mentionnée, ce qui interroge sur la généalogie entre le Petit Thalamus d’une part et la chronique de Philippi d’autre part).
Claude Devic et Joseph Vaissète, Histoire générale de Languedoc, édition 1730-1745Livre XXXIX, tome V
Louise Guiraud, Études sur la réforme à Montpellier, tome II, Montpellier, Vve Louis Valat, 1918p. 156-163.
L’édit de Nantes et ses antécédents (1562-1598), dir. Bernard Barbiche, 2e éd., 2009 (Éditions en ligne de l’École des Chartes (ÉLEC), volume5), http://elec.enc.sorbonne.fr/editsdepacification. « Paix de la Rochelle. Édit de Boulogne » : http://elec.enc.sorbonne.fr/editsdepacification/edit_06