Le Petit Thalamus de Montpellier

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Les annales occitanes, introduction historique

par Vincent Challet (CEMM)

La fabrique d’une mémoire urbaine : le Petit Thalamus comme fondement d’une identité civique

Source incontournable de l’histoire montpelliéraine, le Petit Thalamus est également un élément fondamental de l’entreprise de reconstruction mémorielle opérée sous l’égide des consuls à partir du milieu du XIIIe siècle. Il n’impose pas une mémoire figée depuis le début du XIIIe siècle mais la reconstruit en fonction d’évolutions sociales et politiques dont il n’est que le miroir. Œuvre consciente et planifiée d’un consulat accomplissant un retour sur ses origines, un demi-siècle après sa naissance, le Petit Thalamus ne se contente pas d’enregistrer l’histoire de Montpellier : en forgeant, par le biais de l’écriture, une mémoire commune il crée la ville en tant qu’universitas et joue un rôle fondamental dans l’émergence d’une conscience urbaine. De pair avec la Commune Clôture qui réalisa l’unité physique et matérielle de la ville, le Petit Thalamus, en contribuant à l’unité mentale des citoyens, est l’un des éléments essentiels de la création de la ville dont l’importance n’est pas moindre que celle du grand sceau du consulat. Il constitue un élément-clef dans la mise en place de cet équilibre, toujours instable et sans cesse remis en question, que représente la ville médiévale.

Reste qu’il n’est pas anodin de s’interroger sur la langue déployée au sein de ces annales. Si les Fastes consulaires composés dans la première moitié du XIIIe siècle ont recours au latin, en revanche, l’ensemble des Petits Thalami fait délibérément le choix de la langue occitane, choix qui ne laisse pas de surprendre par sa précocité, surtout à l’aune des cités italiennes où les premières chroniques urbaines – ainsi des Annales Januenses d’Andrea Caffaro – sont rédigées en latin et où l’usage du toscan n’intervient guère avant le début du XIVe siècle. Toutefois, dans les communes italiennes, écrire le récit de la cité est un moyen de redécouvrir ses origines et de les rattacher à un incontournable passé romain et ne saurait se concevoir autrement qu’en latin : la recherche des mythes fondateurs de la romanité passe par la réutilisation de la langue des ancêtres dont on entend redécouvrir les traces. À Montpellier, un tel enjeu ne peut pas exister : lorsque l’écriture débute, elle ne peut avoir pour but de rechercher des origines et elle adopte dès lors la forme des annales qui ne se prête guère à une enquête sur le passé. Les rédacteurs successifs ne sont pas tributaires d’un modèle antique et se révèlent libres de composer, non le récit légendaire de leur ville, mais le récit réel d’un présent recomposé et ils le font en usant d’une langue vernaculaire plus apte à forger une identité civique fondée sur le souvenir des luttes pour l’émancipation communale bien plus que sur le mythe des origines romaines. Seule une ville dépourvue de tout passé romain comme l’était Montpellier pouvait inventer, de manière aussi précoce, une telle approche du récit urbain.