Si la plus ancienne mémoire historique s’avère d’origine
seigneuriale, les événements qui ont marqué l’ascension puis la
disparition des Guilhèms, dûment consignés dans les listes d’avenimens, disparaissent dans la rédaction
ultime de 1334, signe d’une remise en ordre de la mémoire urbaine.
Le passage de la seigneurie montpelliéraine des Guilhèms aux
souverains d’Aragon et la prise de possession de la ville par Pierre
II conduisirent ainsi à nombre de reconstructions mémorielles.
Surtout, la version la plus tardive – celle de 1334 – de l’histoire
consulaire révèle une volonté consciente de fonder l’identité
urbaine sur l’unité de la ville et, partant, de dissimuler les
divisions internes qui se produisirent durant le bref interlude
séparant la mort de Guilhèm VIII de la prise de possession par
Pierre d’Aragon. Pour le dernier rédacteur du Petit
Thalamus, ni le court règne de Guilhèm IX, ni la
révolution de 1204
(H. Vidal11. Actes du Congrès de la Couronne
d'Aragon, Montpellier, 1987 , « L'Aragon et la révolution
montpelliéraine de 1204 », , p. 43-60) n’existent.
Pourtant, 1204 fut loin de représenter un tranquille passage de
témoin d’une dynastie à une autre et les élites urbaines jouèrent au
cours de ce processus un rôle fondamental. Mais l’ultime version de 1334 ne retient que le
mariage de Pierre II et de Marie de Montpellier, imposant l’idée
d’une succession naturelle et passant sous silence l’existence de
Guilhèm IX. À l’inverse, les versions plus anciennes ont conservé
une mémoire très différente de l’événement et précisent notamment
que furent détruits à cette occasion les hôtels de Berenguièr
Lambèrt, de maître Gui Francesc et d’Uc de Tornamira, autant de
personnages qui faisaient partie de l’entourage seigneurial et qui
furent bannis en juin 1204. La victoire de Pierre d’Aragon résulte
donc d’une opposition interne aux Guilhèms et à leurs proches
conseillers, dont les maisons furent saisies et, selon un phénomène
de damnatio memoriae, destinées à
être abattues. Cependant, les nécessités de l’identité urbaine
imposaient de nier les divisions internes qui avaient mené à
l’émergence du consulat. Les magistrats forgèrent en conséquence le
mythe d’une apparition pacifique du corps urbain et condamnèrent les
noms des Lambèrts et des Tornemiras à l’oubli.
Plus fondamentalement, le Petit Thalamus imposa l’idée
que la charte de coutumes et le consulat avaient été accordés dès
1204 par Pierre II et Marie de Montpellier dans la foulée de leur
mariage. Toutes les versions, y compris les plus anciennes, font
remonter les origines de l’institution à 1204, année considérée
comme lo comessamen del cossolat
alors
que les premiers consuls ne sont attestés dans les documents
officiels qu’à partir de juillet 1206. Le Petit
Thalamus opère ainsi une falsification consciente qui
soutient le mythe d’une origine pacifiée du consulat : en mythifiant
sa date de fondation, le consulat lie son apparition à la
proclamation des coutumes et à un changement dynastique décisif en
ce qui concerne la réorientation de la mémoire civique.