Le Petit Thalamus de Montpellier

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La chronique française du Petit Thalamus de Montpellier

par Marc Conesa (CRISES) et Stéphane Durand (Centre Norbert Elias)

Essai de reconstruction chronologique

Il y aurait eu une première rédaction de la chronique française, peut-être contemporaine des faits relatés, datée des années 1502-1512. La paléographie plaide en ce sens. Elle pourrait être l’œuvre du notere, greffier et s[ecreter]e Jehan Dupuy, signataire de plusieurs textes des années 1510-1512. Elle constitue un premier cahier (1502-1512).

Dans un second temps, il y aurait eu une reprise de la rédaction, commencée sur la dernière page du cahier précédent avec quelques bribes relatives à l’année 1523. Elle se serait poursuivie à partir de l’année 1525 et continuée jusqu’en 1533, date à laquelle la rédaction se serait alors interrompue, sans raison apparente. Aucune signature ne permet d’identifier l’auteur. A-t-il existé un cahier couvrant les années 1513-1522 ? Rien ne permet de le dire.

Dans un troisième temps, le greffier Boschonis a rédigé toute une série de textes relatifs aux années 1555-1559, en faisant explicitement référence à la partie médiévale du Petit Thalamus, légitimant ainsi son entreprise. La nature des textes signés indique qu’il s’agit d’une rédaction contemporaine. Boschonis a-t-il écrit sur les années antérieures à 1555 ou postérieures à 1559 ? Nous ne le savons pas. Mais si cela avait été le cas, l’auteur suivant n’en aurait pas eu connaissance.

En effet, dans un quatrième temps, la rédaction a été reprise, au-delà de 1583. Avant d’y procéder, l’auteur – mais ce peut être un pluriel – a mis en ordre les matériaux dont il disposait. Ainsi a-t-il placé en tête deux textes des années 1581 et 1583 – signés Fesquet –, puis le récit des années 1502-1512, celui des années 1525-1534, un ensemble de pièces des années 1583-1584 et enfin le cahier rédigé par Boschonis, le tout folioté en chiffres romains jusqu’au numéro 517, dans la continuité du manuscrit médiéval. Il a ensuite commencé sa propre rédaction à partir de là où s’achevait sa documentation, c’est-à-dire en 1534. Il a couvert d’une graphie différente des deux précédentes les années manquantes, c’est-à-dire les années 1534-1554. A ce niveau de la chronologie, il s’est contenté de noter la liste des consuls puisque la première rédaction relative aux années 1555-1559 en avait déjà fait le récit. Puis le récit des événements a été repris là où Boschonis s’était arrêté, à savoir en 1560. Cette rédaction a ensuite été poursuivie jusqu’à l’évocation de l’année 1574.

Il resterait à se demander pourquoi l’auteur se serait arrêté en 1574 alors qu’il est censé avoir composé son texte après 1583, c’est-à-dire avec la connaissance des événements de la décennie 1574-1584. On remarquera alors que la série des délibérations consulaires de la communauté de Montpellier est très lacunaire pour le XVIe siècle ; ce sont des lacunes déjà présentes lors de la rédaction de l’inventaire Joffre et que l’on peut suspecter d’exister dès le début du XVIIe siècle, voire la fin du XVIe.

Le registre aujourd’hui coté BB 34611. Arch. mun. Montpellier, BB 346, registre de délibérations consulaires (1497-1502). couvre les années 1497-1502. La dernière délibération de ce registre est immédiatement antérieure au premier événement décrit par la chronique française du Petit Thalamus : l’entrée de l’archiduc de Flandres le 30 janvier 1503 (nouveau style). Il y a donc continuité entre les deux documents. Le registre suivant, dans l’ordre chronologique des délibérations consulaires, est celui qui est aujourd’hui coté BB 39322. Arch. mun. Montpellier, BB 393, registre de délibérations consulaires (1550-1563).. Il contient les délibérations des années 1550-1563, époque à laquelle Boschonis écrit des feuillets sur les années 1555-1559, dans l’esprit du Petit Thalamus mais sans qu’ils n’y soient reliés. Une nouvelle béance s’ouvre dans la suite des délibérations, entre 1564 et 1574. Or, le registre suivant dans la série des délibérations, le BB 39433. Arch. mun. Montpellier, BB 394, registre de délibérations consulaires (1574-1606) [registre factice]., commence par deux ordonnances de Montmorency, datées des 30 octobre et 23 novembre 1574, toutes deux relatives à la composition du conseil politique. Elles succèdent très clairement à l’avant-dernier texte de la chronique française, qui est une ordonnance de Montmorency portant nomination des consuls de l’année. Les deux documents sont donc chronologiquement jointifs. Cette articulation particulière entre les délibérations et la chronique trouve un nouvel indice concordant avec la dernière mention portée sur le manuscrit : le court texte de 1604, couché à la dernière page, correspond exactement à une lacune interne au registre factice coté BB 394, entre les délibérations des années 1601-1604 et le cahier de l’année 1605-1606. Il manque le cahier de l’année consulaire 1604-1605, celle dont on n’aura retenu que l’exclusion de Jehan Benezech de toute fonction consulaire, mentionnée au dernier folio de la chronique.

En termes plus clairs, la chronique française a été composée à la fin du XVIe siècle (avec rajout postérieur du texte de 1604) ou au début du XVIIe, certes dans l’esprit du Petit Thalamus médiéval, mais surtout pour combler les lacunes d’une documentation consulaire défaillante. D’une certaine façon, on pourrait dire que la chronique a été considérée comme un ersatz de registre de délibérations consulaires, bien piètre succédané en vérité, eu égard à l’incapacité du texte à révéler les décisions prises par le consulat. Mais, à l’inverse – et sans contradiction –, les délibérations ont pu être vues comme des matériaux constitutifs de la mémoire urbaine au même titre que la chronique. Pour cela, délibérations et chronique auraient été conçus à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, de manière complémentaire, comme la matérialisation textuelle d’une mémoire urbaine plongeant ses racines dans un Moyen Age prestigieux, mais cruellement bouleversée par les troubles de la religion. Il se serait donc agi, après la guerre civile, de redonner à la population une mémoire civique commune, estompant la dureté des divisions récentes en renouant avec ses racines médiévales et catholiques romaines.