Le Petit Thalamus de Montpellier

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La chronique française du Petit Thalamus de Montpellier

par Marc Conesa (CRISES) et Stéphane Durand (Centre Norbert Elias)

La chronique française du Petit Thalamus et l’histoire de combat

D’une certaine manière, la chronique française du Petit Thalamus se trouve déconnectée de l’espace régional et entièrement insérée dans une écriture officielle de l’histoire locale. Le passé de la ville et celui de la province ne s’en construisent pas moins l’un au miroir de l’autre. Alors que les états provinciaux subventionnent l’Histoire Générale du Languedoc, ce qui les rend maîtres du temps historique mis au service des privilèges de la province et des états, l’Histoire de la ville de Montpellier est dédicacée aux autorités militaires et ecclésiastiques11. Plus précisément, l'histoire de Montpellier est dédicacée au lieutenant-général de la province, Armand François de la Croix, marquis de Castries, et l'histoire ecclésiastique à Georges Lazare Berger de Charency, évêque de Montpellier. et se place sous leur protection. L’œuvre d’Aigrefeuille obtient aussi le soutien du consulat, qui en finance partiellement les travaux d’imprimerie pour des raisons politiques. Les puissants du royaume et de la province, comme le cardinal de Fleury ou le chancelier d’Aguesseau, reçoivent des exemplaires richement reliés, avec une couverture de maroquin vert, et les consuls en grand costume, trompettes et tambours vont même offrir au duc de Richelieu, gouverneur de la province, un exemplaire couvert de maroquin rouge et à tranche dorée22. Voir les additions de la réédition par Louis   Lacour De La Pijardière, op. cit., p. 743.. Il ne s’agit nullement de dons désintéressés aux autorités, mais d’une offensive politique pour le maintien des positions politiques et catholiques. Charles d’Aigrefeuille le dit sans ambages33. Charles   d'Aigrefeuille, Histoire de la ville…, op. cit., p. I : je pouvois accorder les Fonctions de mon Etat avec celles de bon Citoyen puisqu'il n'eft pas indiferent de faire connoître les Malheurs qui fuivent le mépris de la Religion comme on pourra l'obferver dans l'Affaire des Albigeois, & des Religionnaires de nôtre Tems, dont l'Hiftoire eft infeparable de celle de Montpellier. Le parti-pris est donc clairement énoncé et assumé pour cet érudit formé chez les jésuites et qui prit la tonsure en 1685., comme Gariel son prédécesseur et partiellement inspirateur44. Pierre Gariel, Idée de la ville de Montpellier, op. cit., p. 6 : […] cette ville l'une des plus fleurissantes de l'Europe, au sentiment de Jacques le Conquérant Roy d'Aragon, qui y prit naissance. Ses prosperitez se seroient accrues incessemment et seroient parvenues à un estat plein de gloire, si l'hérésie ne leur eut opposé son orgueil et son envie et ne l'eust faite long-temps gémir sous le joug des erreurs du Calvinisme, dont elle alloit estré accablées sans les heureuses victoires de Louis le juste [...].. Si la paix est imposée par le pouvoir royal, elle n’en laisse pas moins s’agiter des plumes aiguisées pour mener autrement l’affrontement religieux. Dans ces œuvres, l’identité des auteurs n’est pas neutre et la chronique française, comme débarrassée de tout parti-pris, fonde de prétendus discours historiques objectifs en leur offrant une fausse neutralité. Embrigadé dans des œuvres de combat, le Petit Thalamus participe d’une écriture de l’histoire au service de l’une ou de l’autre des confessions qui se disputent la ville55. On ne s'en tiendra ici qu'à la mention de l’œuvre de Louise Guiraud dont l'utilisation de l'histoire a tout de l'offensive catholique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, comme une sorte de répétition des affrontements du XVIe siècle. Son retour vers le Moyen Age est celle d'un espoir vers une ville entièrement unie du point de vue religieux. .