Le Petit Thalamus de Montpellier

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La chronique française du Petit Thalamus de Montpellier

par Marc Conesa (CRISES) et Stéphane Durand (Centre Norbert Elias)

D’une édition à l’autre (1836-2014)

Si les batailles historiographiques ne prennent pas fin avec la première édition intégrale du Petit Thalamus en 1836, celle-ci permet de saisir globalement une chronique longtemps réservée aux seuls initiés des archives du consulat. Autant dire que le Thalamus Parvus s’adresse à une audience bien plus large et, malgré ses imperfections, cette édition de la chronique moderne à la suite de son modèle médiéval n’en livre pas moins une approche critique du texte et une analyse historique dominée, non plus par l’affrontement religieux, mais par le changement politique et social que la Révolution française révèle tout entier. L’introduction à la chronique française est rédigée par un Eugène Alicot, vice-président du tribunal de première instance, qui, par sa qualité sociale, montre l’émergence de nouveaux érudits parmi les nouveaux notables. Alicot retient de sa lecture de la chronique française trois faits marquants. Le premier est celui d’une société du XVIe siècle qui vit encore sur les souvenirs d’un passé glorieux, fondé sur le commerce. Cet embryon d’histoire économique tranche singulièrement avec les approches précédemment exposées, arc-boutées sur l’événement politique et l’affrontement religieux. Mais elle prépare aussi une instrumentalisation de l’histoire en faveur de l’État central. Si le Petit Thalamus ne sert plus ici les intérêts religieux, Eugène Alicot concédant quand même que la chronique française exprimait une partialité marquée en faveur des catholiques, il n’en demeure pas moins mis au service d’une histoire aux ordres. En effet, et dès le deuxième point, Eugène Alicot dévoile son jeu. Il souligne que l’assimilation de la commune au pays de France – c’est-à-dire l’intégration au royaume – est l’autre fait marquant, et lorsque le français se substitue à la langue d’oc comme langue d’écriture, cela est perçu comme un progrès. Les nouveaux rapports de force expliqueraient le changement linguistique. Le pouvoir royal s’est imposé politiquement à la suite des divisions religieuses. Il a établi la paix par les armes. Il a libéré des anciennes dominations des noblesses locales. Il a favorisé l’éclosion d’une bourgeoisie qui a tout à recevoir des bienfaits de l’unité française. Sa démonstration prend fin avec cette affirmation, d’essence jacobine, défendue par un zélé fonctionnaire de l’État. Le Petit Thalamus semble demeurer prisonnier d’une écriture individuelle de l’histoire collective mise au service de parti-pris religieux et politiques. La réception de l’édition ne s’attarde guère sur ces interprétations.

Le Petit Thalamus édité était alors comme prêt à être découpé et picoré par des générations d’historiens successifs qui l’utilisent pour illustrer leurs histoires de Montpellier et notamment des conflits religieux. Aucun ne se penche sur une analyse d’ensemble du registre, comme si, depuis d’Aigrefeuille, les récits de la chronique se suffisaient à eux-mêmes. La source tombe même dans un relatif oubli. Par exemple, ni l’Histoire de Montpellier dirigée par Gérard Cholvy, ni Emmanuel Le Roy Ladurie dans Le siècle des Platter, ne mentionnent le Petit Thalamus comme l’une des principales sources imprimées11. Emmanuel  Le Roy Ladurie, Le siècle des Platter, tome I : Le mendiant et le professeur, Paris, Fayard, 1995 ; Gérard  Cholvy, Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 1986 ; rééd. 2001, la liste de ces principales sources imprimées figure à la page 155.. Ce désintérêt relatif s’explique sans doute par les imperfections relatives de l’édition de 1836. Surtout, ces historiens, parmi d’autres, font le choix d’utiliser des récits individuels, ceux de Platter et de Philippi, qui couvrent la même période chronologique mais de manière plus vivante, sensible et peut-être plus intelligible au public de la seconde moitié du XXe siècle, comme si le tournant individualiste d’une écriture à la première personne trouvait là son aboutissement.