Si les batailles historiographiques ne prennent pas fin avec la
première édition intégrale du Petit Thalamus en 1836,
celle-ci permet de saisir globalement une chronique longtemps
réservée aux seuls initiés des archives du consulat. Autant dire que
le Thalamus Parvus s’adresse à une audience bien plus
large et, malgré ses imperfections, cette édition de la chronique
moderne à la suite de son modèle médiéval n’en livre pas moins une
approche critique du texte et une analyse historique dominée, non
plus par l’affrontement religieux, mais par le changement politique
et social que la Révolution française révèle tout entier.
L’introduction à la chronique française est rédigée par un Eugène
Alicot, vice-président du tribunal de première
instance
, qui, par sa qualité sociale, montre
l’émergence de nouveaux érudits parmi les nouveaux notables. Alicot retient de sa
lecture de la chronique française trois faits marquants. Le premier
est celui d’une société du XVIe siècle qui vit
encore sur les souvenirs d’un passé glorieux, fondé sur le commerce.
Cet embryon d’histoire économique tranche singulièrement avec les
approches précédemment exposées, arc-boutées sur l’événement
politique et l’affrontement religieux. Mais elle prépare aussi une
instrumentalisation de l’histoire en faveur de l’État central. Si le
Petit Thalamus ne sert plus ici les intérêts
religieux, Eugène Alicot concédant quand même que la chronique
française exprimait une partialité marquée en faveur des
catholiques
, il n’en demeure pas moins mis au service
d’une histoire aux ordres. En effet, et dès le deuxième point,
Eugène Alicot dévoile son jeu. Il souligne que l’assimilation
de la commune au pays de France
– c’est-à-dire
l’intégration au royaume – est l’autre fait marquant, et lorsque le
français se substitue à la langue d’oc comme langue d’écriture, cela
est perçu comme un progrès. Les nouveaux rapports de force
expliqueraient le changement linguistique. Le pouvoir royal s’est
imposé politiquement à la suite des divisions religieuses. Il a
établi la paix par les armes. Il a libéré des anciennes dominations
des noblesses locales. Il a favorisé l’éclosion d’une bourgeoisie
qui a tout à recevoir des bienfaits de l’unité
française
. Sa démonstration prend fin avec cette
affirmation, d’essence jacobine, défendue par un zélé fonctionnaire
de l’État. Le Petit Thalamus semble demeurer
prisonnier d’une écriture individuelle de l’histoire collective mise
au service de parti-pris religieux et politiques. La réception de
l’édition ne s’attarde guère sur ces interprétations.
Le Petit Thalamus édité était alors comme prêt à être
découpé et picoré par des générations d’historiens successifs qui
l’utilisent pour illustrer leurs histoires de Montpellier et
notamment des conflits religieux. Aucun ne se penche sur une analyse
d’ensemble du registre, comme si, depuis d’Aigrefeuille, les récits
de la chronique se suffisaient à eux-mêmes. La source tombe même
dans un relatif oubli. Par exemple, ni l’Histoire de
Montpellier dirigée par Gérard Cholvy, ni Emmanuel Le
Roy Ladurie dans Le siècle des Platter, ne
mentionnent le Petit Thalamus comme l’une des
principales sources imprimées
11. , Le siècle des
Platter, tome I : Le mendiant et le professeur,
Paris, Fayard, 1995 ; , Histoire de
Montpellier, Toulouse, Privat, 1986 ; rééd. 2001, la
liste de ces principales sources imprimées
figure à la page
155.. Ce désintérêt relatif
s’explique sans doute par les imperfections relatives de l’édition
de 1836. Surtout, ces historiens, parmi d’autres, font le choix
d’utiliser des récits individuels, ceux de Platter et de Philippi,
qui couvrent la même période chronologique mais de manière plus
vivante, sensible et peut-être plus intelligible au public de la
seconde moitié du XXe siècle, comme si le
tournant individualiste d’une écriture à la première personne
trouvait là son aboutissement.