Le Petit Thalamus de Montpellier

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Les annales occitanes, introduction linguistique

par Hervé Lieutard (LLACS)
Dernière mise à jour : 19 février 2021

Diphtongues

Le digraphe ou représente majoritairement la diphtongue ᴐw issue de ᴐv (buou, dijous, Castelnou) ou de ᴐl (moure) ou la diphtongue uw, issue de la vocalisation de l devant dentale (outra, mouto, Vouta en Vivarés, escoutet, soudan – sultan -). Dans la langue moderne, la diphtongue uw s’est généralement réduite à u. Les trois occurrences de outra face aux vingt-et-une d’otra montrent dans ce cas que l’utilisation du digramme ou n’est déjà plus qu’un vestige graphique. Les nombreuses attestations de mot/motz/ mota/motas (<MULTUM) dès le début de la rédaction de l’AA9 permettent en outre de penser que cette réduction est acquise depuis longtemps. Avec sans doute un certain retard sur les changements phonétiques, l’AA9 enregistre progressivement dans la graphie un certain nombre d’évolutions phonétiques de l’occitan.

Quelques formes notées ou restent toutefois problématiques puisqu’elles apparaissent très tôt, avant une possible contamination du système autochtone par le système graphique français. Il est possible de penser que, dans quelques cas, la graphie de n et de u peut-être confondue par quelques scribes peu scrupuleux (Pous per Pons, fouc per fonc), mais le nombre important de ces formes (entre 1334 et 1361 pour les formes Pous, mais seulement à partir de 1391 pour les formes fouc ou couvent) pourrait aussi laisser penser que ce digraphe, s’il ne représente pas vraiment une diphtongue, représente à un moment donné, par sa proximité graphique avec n, un moyen de noter une forme d’amuïssement de la nasale n dans certains contextes. Dans tous les cas, on ne peut pas soupçonner ces formes qui apparaissent dès 1334 d’être influencées par la graphie française.

En dehors de la forme lo duc d’Anjou, observable à partir de 1361, mais qui laisse encore la place régulièrement à la forme lo duc d’Anjo jusqu’aux dernières années de rédaction du Petit Thalamus, les premières influences du digramme français ou pour u apparaissent bien plus tard, vers la fin du XIVe siècle, dans des épisodes narratifs qui impliquent des contacts avec la cour du roi du France, notamment en 1391 où sont relatées les manifestations en l’honneur de la naissance du dauphin, fils de Charles VI. On y trouve la forme court (à côté de cortz), la forme hybride gouvernairitz et même une forme tout, la seule et unique dans toute les annales occitanes, finalement biffée et corrigée en tot. Ces quelques exemples de contact avec le français ne sont pas encore susceptibles de menacer le système graphique de l’occitan, du moins tant que celui-ci ne connaîtra pas d’interruption dans ses usages. En effet, en dépit de ces incursions, somme toute assez rares jusqu’au XVe siècle, le digraphe ou continue assez fidèlement de représenter une diphtongue jusqu’à la fin de la rédaction des annales occitanes.

Dans quelques cas, le digraphe ou semble aussi devoir représenter la consonne spirante labio-vélaire voisée w, notamment dans quelques rares formes qui apparaissent entre 1407 et 1413 : religious (1407, 1413), nadiou (1407), lioureya (1422), precious (1413). On trouve deux formes aoust en 1361 et 1362 qui peuvent sous-entendre une prononciation awst, même si ces formes apparaissent bien isolées face aux 60 occurrences d’aost et même aux 5 occurrences d’avost. Si l’on avait affaire à une influence du français, nous pouvons supposer que, dans ce cas-là, une plus grande quantité de formes présentant le son u seraient touchées. La graphie iou représente sans doute à ce moment-là une variante graphique pour noter la diphtongue iw, notée iu dans les années précédentes (nadiu, 1391), voire même un phénomène de triphtongaison en jew dont rendent compte certaines notations en ieu : la forme nadious de 1407 est biffée et corrigée en nadieus. On trouve également les formes cieutat dès la moitié du XIVe siècle, lieureya en 1366, et même des formes telles que gracieusa en 1411 qui semblent indiquer que le suffixe –ios est également soumis à ce phénomène de diphtongaison. Il va sans dire que, même si certaines formes graphiques laissent entrevoir ces phénomènes d’oralité, les annales du consulat tentent au maximum de limiter leur emploi et leur préfèrent les formes iu ou ios.