Le Petit Thalamus de Montpellier

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La chronique française, introduction linguistique

par Chantal Wionet (Université d’Avignon et HEMOC)

EU /OU

Un phénomène similaire peut être observé, que l’on peut étudier à partir de deux mots : treuveront et demoura. Il s’agit ici de l’alternance réversible EU/OU, qui fait également l’objet d’une remarque de Vaugelas11. Vaugelas, Claude Favre de , 1647, Remarques sur la langue françoise, A Paris, chez Vve Camusat et P. Le Petit.  : Trouuer, treuuer, prouuer, esprouuer, pleuuoir. Trouuer, et treuuer, sont tous deux bons, mais trouuer auec, o, est sans comparaison meilleur, que treuuer auec e. Nos Poëtes neantmoins se seruent de l’vn et de l’autre à la fin des vers pour la commodité de la rime; Car ils font rimer treuue, auec neuue, comme trouue, auec louue. Mais en prose tous nos bons Autheurs escriuent, trouuer auec o, et l’on ne le dit point autrement à la Cour. Il en est de mesme de prouuer et d’esprouuer. Mais il faut dire, pleuuoir auec e, et non pas plouuoir, auec o.

Le 17e siècle a dépensé beaucoup d’énergie à effacer les traces de variations dans la langue, considérant qu’il convenait de hiérarchiser les variantes, les premières relevant du style de l’honnête homme, les autres se voyant rejetées comme provinciales, basses ou ridicules. Lorsque la Chronique est rédigée, les variations – même si elles peuvent çà et là faire l’objet de commentaires – sont plutôt considérées comme faisant partie de la langue. En revanche, on ne trouve pas dans la Chronique d’éléments susceptibles de représenter un accent, sauf à de très rares moments et qui relèvent moins d’un accent régional que d’un accent personnel, par exemple : sercher (pour chercher) d’une part et arranchées (pour arranger) – ces phénomènes se retrouvant par exemple dans des lettres de soldats peu lettrés de la première guerre mondiale. En effet, la plupart des variantes présentes dans la Chronique française sont bien répertoriées dans les grammaires ou remarques du siècle suivant, ceci indiquant qu’on ne doit pas y chercher des marques d’un français lointain ou régional : les rédacteurs sont pleinement conscients de la langue qu’ils écrivent, ne sont pas maladroits et maitrisent tout à fait à l’écrit. Il y a donc une uniformité d’enseignement dans l’apprentissage du français dans les différentes régions du royaume, et ceci dès le tout début du 16e siècle.