Le Petit Thalamus de Montpellier

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La chronique française, introduction linguistique

par Chantal Wionet (Université d’Avignon et HEMOC)

Grammaire de que/qui...

La question du relatif est singulière en français, puisque le pronom conserve les traces – encore le patrimoine – d’une déclinaison qui fut éliminée d’à peu près toutes les autres catégories grammaticales : que est le cas objet ou attribut, qui est le cas sujet. Le 16e siècle fut un laboratoire qui permit de tester la présence ou l’absence de cette déclinaison, parfois même à quelques lignes d’intervalle :

[…] comme estans et faisant tout ung corps que ne se peuct separer […] (1557)

[…] auroient cependant iceulx consuls envoyé deux de leurs escuyers et serviteurs a M(onsieu)r Jehan de Brignac chanoyne et scindic de la(dite) esglise qui auroit respondu en premier a Anthoine Tremollieres, […] (1557)

[…] le(dit) reffus que le(ur) a esté faict, p(rese)n(t)s et voyans tous les personatz et chanoynes de la(dite) esglise iceulx consulz se seroient retirés et sortis hors du(dit) cue(ur) et esglise […] (1557)

Les trois exemples qui précèdent montrent la difficulté de dégager des règles fiables quant à l’usage de qui et de que dans la Chronique : « que » à la place de « qui » apparaît en position sujet aussi bien pour désigner des référents masculins que féminins, singuliers ou pluriels, comme viennent le confirmer les exemples suivants :

mays Dieu succita aulcungz moyenneurs de la paix que feust faict entre les deux princes (1544)

Laquelle assamblee tenant le seigneur de Caylus en Rouergue gentilhom[m]e de la chambre du roy et par sa mag[es]té delegué y vint apportant le edict susd[ict] de la paix du mois de mars que feust publié a Montpell[ier] solemnement par les carrefours et court du gouverneur. (1563)

Toutes les trompettes de la ville y furent sonnant audevant dudit seigneur, abilhez de livree et abilhemens neufz, que estoient en nombre huyt. (1502)

Tellement que la ou il y avoit dix ou douze freres mal condicionnez, que ne avoient pour jour que six blans de pitance et encorres ne pouvoyent vivre de p[rese]nt il en y a bien cinquante, bien condicion[n]ez qui vivent bien et opulement, despendant chascun jour en compenaige douze soulz et demy et plus. (1503)

Il est inutile d’allonger inutilement la liste d’exemples. Le « que » ainsi utilisé peut s’apparenter à une forme neutre. Le commentaire de Robert Estienne11. à ce sujet montre une hésitation intéressante :

Qui, Que, Quel, Lequel.

Nous auons encores d’autres relatifs, desquels celuy que nous appelons Qui, est le plus general, par ce qu’il sert a tous genres, a tous nombres, et a toutes personnes. Ie suis celuy qui t’ay secouru, Tu es celuy qui m’as tousiours aimé, nous sommes du nombre de ceulx qui uous aiment, Ie suis celle qui uous aime, etc. Au demeurant il ne recoit point d’article. Et se decline ainsi qu’il sensuit.

Le singulier masculin,

Nominatif,Qui, Que, Quel, Lequel.
Genitif,de Qui, de Quel, duQuel.
Datif,a Qui, a Quel, auQuel.
Accusatif,semblable au nominatif.
Ablatif,semblable au genitif.

Pluriel.

Nominatif,Qui, Quels, les Quels.
Genitif,de Qui, de Quels, desQuels.
Datif,a Qui, a Quels, ausQuels.
Accusatif,semblable au nominatif.
Ablatif,semblable au genitif.

[…]Nous vsons de Que quand la preposition n’y est point requise: comme, Voila Iehan que uous demandiez. Il n’est iamais nominatif qu’auec le verbe substantif de tous genres, nombres, et personnes […]

Le singulier feminin.

Nominatif,Qui, Que, Quelle, Laquelle.
Genitif,de Qui, de Quelle, de la Quelle.
Datif,a Qui, a Quelle, a la Quelle.
Accusatif,semblable au nominatif.
Ablatif,semblable au genitif.

Pluriel,

Nominatif,Qui, Quelles, les Quelles.
Genitif,de Qui, de Quelles, des Quelles.
Datif,a Qui, a Quelles, ausQuelles.
Accusatif,semblable au nominatif.
Ablatif,semblable au genitif.

Si le grammairien note le nominatif – le cas sujet – comme réalisable en « que » au masculin comme au féminin, il ne le note pas pour le pluriel (alors que nos exemples le sont) ; de plus, l’exemple qu’il produit est un cas d’accusatif. Cette hésitation se transformera ensuite en une spécialisation des cas, l’indifférenciation n’ayant pas tenu.

Ce point intéresse l’histoire de la langue française : il représente, comme certains choix orthographiques, un des volontarismes des grammairiens, puisqu’il s’est agi de maintenir une déclinaison qui était appelée à disparaître. La Chronique représente bien ce moment d’hésitation morphosyntaxique, où du début à la fin du siècle les formes cohabitent.