Le Petit Thalamus de Montpellier

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Le projet Thalamus

par Vincent Challet (CEMM), Gilda Caïti-Russo (LLACS) et Philippe Martel (LLACS)

Entre démarche scientifique et restitution d’une mémoire montpelliéraine

Par bien des aspects, le Petit Thalamus (ms AA9 des Archives Municipales) de Montpellier constitue une source incontournable pour l’histoire de la ville et une œuvre de mémoire particulièrement originale puisque les magistrats urbains firent le choix de la consigner en occitan, donnant naissance aux plus anciennes annales urbaines rédigées dans une langue vernaculaire. Pièce maîtresse dans la vaste entreprise de reconstruction mémorielle à laquelle se livra, à partir du milieu du XIIIe siècle, le consulat, il appartient à ces manuscrits que Jacques Le Goff qualifiait de « monument-document », voulant signifier par là à la fois leur valeur documentaire pour les hommes du Moyen Âge et leur dimension mémorielle. Œuvre consciente et planifiée d’un consulat faisant retour sur ses origines, une génération après son établissement et une fois ses positions institutionnelles assurées, le Petit Thalamus n’enregistre pas seulement les statuts et l’histoire de la ville : en créant scripturairement une mémoire commune, il joue un rôle fondamental dans l’émergence d’une conscience urbaine. Aux côtés de la Commune Clôture qui réalise l’unité physique de Montpellier à partir des années 1180, le Petit Thalamus a été l’un des trésors urbains dont le poids et la symbolique sont comparables au grand sceau du consulat et à la charte de coutumes de 1204 dont il contient une copie.

Un Thalamus ou des Thalami ?

Pourtant, en dépit de son importance, le Petit Thalamus ou plutôt devrions-nous dire les Petits Thalami puisque nous possédons pas moins de huit manuscrits tous différents les uns des autres et réunis pour la première fois depuis l’époque médiévale dans le cadre de cette exposition, n’a jamais fait l’objet à ce jour d’une édition scientifique complète. Certes, en 1840, une première édition parut sous l’égide de la Société Archéologique de Montpellier mais cette édition, qui ne se fondait d’ailleurs pas sur la totalité des manuscrits connus, opéra un certain nombre de coupes (ainsi les listes consulaires), compila des extraits de différentes versions sans en préciser la provenance, se passa de notes et, plutôt que de conserver la langue originale, prit le parti de la corriger pour revenir à une hypothétique pureté du texte. Enfin, cette édition ne comporte pas de traduction en français moderne.

Une édition électronique novatrice

Pour l’ensemble de ces raisons, il convenait de reprendre l’ensemble des manuscrits disponibles, d’en reconstituer la genèse et d’établir une nouvelle édition du Petit Thalamus tout en utilisant les ressources offertes désormais par l’informatique. À cette fin, et grâce au financement de l’Agence Nationale de la Recherche, une équipe d’une vingtaine de chercheurs majoritairement issus des universités de Montpellier I et de Montpellier III – historiens, historiens du droit et de l’art, philologues – a œuvré de concert pendant quatre ans pour établir une édition électronique complète du manuscrit AA 9 des Archives municipales de Montpellier tout en mettant en rapport son contenu et celui de tous les autres manuscrits conservés. Grâce à la numérisation de ce manuscrit assurée par les Archives municipales, le lecteur aura accès à la totalité des folios dont il pourra afficher en regard la transcription qui lui révèlera ainsi toute la richesse de l’occitan médiéval en usage à Montpellier. Cette édition électronique, basée sur le standard XML/TEI et mise librement à la disposition de tous, permettra donc aux chercheurs comme à tous les curieux de l’histoire montpelliéraine, de se rendre compte de l’étendue et de la richesse du corpus documentaire ainsi réuni – coutumes de 1204, statuts et établissements urbains, listes consulaires, annales en occitan puis en français – qui englobe la totalité de l’histoire montpelliéraine depuis les origines du consulat jusqu’à 1604.

Assortie d’une traduction, de notes juridiques, philologiques et historiques qui en facilitent la compréhension ainsi que d’un index des noms et des lieux, cette édition se veut tout à la fois achèvement, outil et restitution : achèvement puisqu’elle est la concrétisation d’un projet collectif de longue haleine, outil puisqu’elle met à la disposition des chercheurs comme des passionnés une masse d’informations sans précédent sur la vie institutionnelle et quotidienne du Montpellier médiéval, restitution enfin puisqu’elle permettra à chaque Montpelliérain de se réapproprier cette mémoire collective forgée par les consuls médiévaux pour donner une unité à leur ville.