Quels rapports le Grand thalamus et le Livre noir entretiennent-ils ? Le contenu des cahiers nos 3 à 5 du Livre noir et des premiers cahiers du Grand thalamus est identique. Dans le premier manuscrit, cette partie dupliquée est précédée par deux cahiers, qui contiennent les coutumes et statuts de la ville, le dernier statut transcrit étant celui de 1244 (n. st.). Ces textes fondateurs du droit de la ville n’étaient plus présents dans le Grand thalamus, au début du XIVe siècle, lorsqu’une nouvelle version des coutumes a été insérée dans le manuscrit (GTh AA 4, fol. 65 sqq). Nous verrons plus bas la raison de cette situation.
Les rédacteurs de ces deux codices avaient réservé des espaces blancs à la fin des principales parties thématiques du manuscrit, afin de permettre la transcription d’actes nouveaux. À partir de 1251, ces espaces ont été utilisés dans le Grand thalamus, pour enregistrer dix-sept actes datés de 1251 à 1369 (GTh AA 4, nos 35, 36, 37, 38, 43, 45, 46, 47, 47bis, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54 et 55). Le Livre noir étant quant à lui tombé en désuétude, ces mêmes espaces sont demeurés vierges de toute écriture.
Ces indices codicologiques et philologiques ne permettent donc pas d’infirmer la tradition remontant au XVIIe siècle qui fait du Livre noir un Second thalamus. Mais il est plus probable qu’ils ont été, dans la phase liminaire de leur écriture antérieure à 1251, l’objet d’une production simultanée. Ce choix de duplication, dont nous ignorons les motifs exacts – sécurité de la conservation, présence concomitante dans les bureaux du consulat et chez le lieutenant du roi ? –, expliquerait la similitude de l’emplacement des espaces blancs dans les deux livres.
La thèse de Bernardin Gaillard au sujet de ces deux manuscrits s’avère par
conséquent inexacte. Dans les Mémoires de la société archéologique de
Montpellier, il écrivait à propos du Livre noir :
La rédaction de ce cartulaire est peut-être liée au transfert des
Archives communales dans la maison que possédait à Montpellier l’ordre
des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (…) Par décision consulaire
de février 1259 (n. st.), la commune de Montpellier confia aux
Hospitaliers la garde de leur chartrier, déposé dans une arche fermée de
quatre clefs remises chacune aux mains d’un consul. Ceci supposait
évidemment que l’on ne devait recourir qu’exceptionnellement à ces
précieux originaux. Il fallait donc avoir sous la main des copies
authentiques pour la consultation courante. Et puisque la charte la plus
importante, celle des Coutumes, n’était pas encore transcrite au
Grand thalamus, il paraît à peu près certain que le
Livre noir, dont elle est l’élément principal, existait
déjà. C’est donc entre 1247 et 1258 qu’il a été composé.
(Mémoires de la
société archéologique de Montpellier, 9, 1924-1928, p.
121-131, ici p. 123). , « Les cartulaires municipaux de
Montpellier et les manuscrits qui en dérivent »,
La première difficulté est d’ordre chronologique. Les années 1258-1259 constituent indubitablement un moment de mutation important dans l’organisation de la production et de la gestion de l’écrit pratique à Montpellier ; sur ce point, Bernardin Gaillard a raison. Mais la chronologie embrouillée qu’il propose prouve son embarras face à l’intégration des indices dont il dispose. Si la mise en œuvre du Livre noir était liée, comme il le prétend, au transfert des archives en 1259, le manuscrit devrait logiquement contenir les actes ajoutés dans la partie initiale du Grand thalamus au cours de la décennie 1250. Or tel n’est pas le cas. Si sa rédaction est proche du terminus a quo de 1247, elle ne peut pas être directement liée au déménagement de l’arca comunis. Cette assertion est confirmée par la tradition manuscrite.