Les liens codicologiques entre le manuscrit des Archives nationales et le Grand thalamus sont plus complexes. Le manuscrit coté J 339 n° 23 comprend trois parties successives :
- 1. La première contient la première version conservée des Fastes consulaires (GTh J 339, f° 1-3 v.),
- 2. la deuxième une version des coutumes et statuts de la ville qui a servi de référence à l’édition du texte par Alexandre Teulet dans Layettes du Trésor des chartes,
- 3. la troisième est formée par une série de bulles dont les plus récentes datent du pontificat d’Innocent IV. Elles ont toutes été identifiées et éditées par Alexandre Teulet.
Ces divers dossiers textuels forment deux cahiers de vingt feuillets, un quaternion et un sénion. Vers 1235, comme en témoigne la foliotation ancienne portée sur la marge de queue, la structure codicologique du manuscrit a été modifiée.
La partie des Fastes consulaires insérée aux folios 90 A-91 B du Grand thalamus est la suite du texte rédigée sur les premiers feuillets du manuscrit conservé aux Archives nationales à Paris. Le Grand thalamus contient aux folios 84 A-88 une autre transcription des Fastes consulaires, complétée jusqu’en 1272. Il s’agit d’une copie de la version aujourd’hui scindée entre le manuscrit de Paris et les folios 90 et suivants du manuscrit de Montpellier. Elle semble avoir été réalisée, pour sa rédaction initiale, vers 1260, date à partir de laquelle on constate des changements de main dans les notices annuelles.
Le rapprochement du fragment de Paris avec le manuscrit du Grand thalamus repose sur trois arguments :
- 1. la similitude de l’image graphique du manuscrit
- 2. la continuité du texte : la dernière notice du manuscrit de Paris est consacrée à l’année 1253 et la première notice du manuscrit de Montpellier traite de l’année 1254
- 3. la présence d’une foliotation concordante dans la marge de queue
à gauche des feuillets dans les deux manuscrits (GTh J
339, f° 3 :
V
et GTh AA 4, f° 90 :VI
).
Si les Fastes consulaires figurent aujourd’hui au milieu de la partie médiévale du Grand thalamus, ils étaient placés auparavant au début du volume, comme l’indique l’ancienne foliotation dans laquelle les feuillets 90 à 99 portaient les numéros VI à XVI.
Le fragment du Grand thalamus montpelliérain est très vraisemblablement entré au Trésor des chartes peu avant 1310, dans le contexte de la préparation d’un projet de pariage entre le roi de France et le roi de Majorque, élaboré par Guillaume de Nogaret entre 1299 et 1306. Ce projet n’ayant pas trouvé d’accomplissement, les consuls de Montpellier demandèrent en 1310 à Philippe le Bel de confirmer les coutumes de la ville. Un dossier d’actes concernant cette affaire a été archivé dans le grand chartrier de Montpellier qui a suscité un contentieux de plusieurs années. Les consuls avaient en effet promis au roi de France le paiement de 15 000 livres en échange de cette confirmation. Les atermoiements de leur règlement ont occasionné une véritable affaire qui a connu de multiples rebondissements.
C’est vers 1310 que les cahiers aujourd’hui conservés aux Archives
nationales ont dû être démontés du Grand thalamus et envoyés à Paris. Ce
fragment n’est cependant pas expressément mentionné dans le registre des
tables réalisé en 1318 par Pierre d’Étampes (Arch. nat. de France, JJ 11, f°
166-175 v : Hec sunt iura que dominus rex Francorum
habet et habere debet in Montpessulano et eius baronia
), garde en
titre du Trésor depuis 1307. Il ne l’est pas davantage dans les quaterni de papiro qui recensent les documents
qui devaient constituer la IXe partie de son registre
(Arch. nat. de France, JJ 81, f° 85 : Littere
tangentes villam seu habitatores Montis Pessulantis [sic]
).
Cependant ces inventaires signalent des documents qui se rapportent à la
demande montpelliéraine de confirmation des coutumes de la ville par le roi
de France, selon une formulation qui reprend très exactement celle utilisée
dans l’inventaire des pièces versées au Trésor à la mort de Guillaume de
Nogaret en 1313, aujourd’hui conservé dans la collection Dupuy de la
Bibliothèque nationale de France (Bibl. nat. de France, coll. Dupuy 635, f°
99-108 [décembre 1314-avril 1315]).
Ces éléments plaident en faveur d’une arrivée des cahiers à Paris peu avant
1310. La mention dans les papiers de Guillaume de Nogaret de documents
directement liés à cette affaire permet de penser que le juriste ou ses
proches ont participé de près à la gestion de ce dossier. Figurent
d’ailleurs en marge du fragment, une série d’annotations qui examinent, de
manière concise, les implications pour le roi du contenu des coutumes
promulguées en 1204-1205. Il s’agit parfois même d’un véritable jugement
formulé par le juriste royal, à l’image de la courte glose inscrite au folio
8 B du manuscrit iste articulus est contra ius et
iudiciales regi et subjectos suos
en marge du deuxième article de
l’addendum aux coutumes de 1204, promulgué en 1205 : De omnibus namque clamoribus, civilibus vel criminalibus, extraneus in
Montpessulano respondere tenetur, nisi fuerit homo comitis de comitatu
Melgorii, sicut alia consuetudine determinatum est
Dès octobre 1310, Philippe le Bel avait décidé qu’il était nécessaire de se
livrer à un examen du texte article par article, afin de vérifier si
certaines dispositions coutumières ne contrevenaient pas aux droits du
souverain. L’identification de la main principale responsable des gloses
reste à faire ; elle permettrait de disposer d’un indice essentiel. On sait
que la partie technique de l’élaboration du projet de pariage a été confiée
à Guillaume de Plaisians, Nicolas de Luzarches et Jean d’Auxy. Mais la main
initiale des gloses semble présenter certaines similitudes avec celle de
Guillaume de Nogaret. Ce dernier ou des membres de son équipe se sont en
tout cas livrés à une lecture des coutumes sur le manuscrit des Archives
nationales, sans doute pour préparer la quarante-deuxième pièce des papiers
Nogaret, qui est intitulée dans l’inventaire de la collection Dupuy : Declarationes iurium que dominus rex habet in
Montepessulano
.