Le Petit Thalamus de Montpellier

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Les thalami montpelliérains : genèse, tradition manuscrite et codicologie

par Pierre Chastang (DYPAC)
Dernière mise à jour : 19 février 2021

Un corpus singulier : Les établissements de l’Église

Le corpus des établissements de l’Église (Los establimens de la sancta glieiza), inséré dans le seul manuscrit G (PTh 11795, f° 168 à 174), paraît à première vue très singulier. Sur les feuillets du manuscrit G, rédigés au début des années 1270, sont exposés, après le rappel préalable de l’obligation de confession (hec est confessio generalis quam debet facere quilibet fidelis semel vel bis in anno et maxime in articulo mortis), les principaux éléments de la doctrine chrétienne. Ils constituent l’occasion du développement d’une casuistique des fautes, d’une méditation sur la bonne conduite des personnes et sur le bon gouvernement de la ville, garants du salut de la communauté. Après avoir abordé le thème des cinq sens corporels, le texte reprend la liste des dix commandements (De X preceptis). Le rédacteur a ensuite inséré une deuxième formule de confession générale pour le pécheur ayant enfreint les commandements divins, puis dressé la liste de chacun d’eux, citant en latin le texte biblique, avant de proposer une formule de confession pour chaque commandement transgressé. Il poursuit par les sept œuvres de la miséricorde corporelle (De VII operibus carnalibus misericordie), les œuvres de la miséricorde spirituelle (De tribus operibus spiritualibus misericordie), les douze articles de la foi (De XIIa articuli catolice fidei) qui proposent une division du symbole courante depuis le traité De sacro altaris mysterio attribué à Innocent III, les sept sacrements, (De .VII. sacramentis ecclesiasticis), puis les sept péchés capitaux (De .VII. peccatis criminalibus), qu’il illustre par des exemples concrets, exprimant un souci civique. Le texte se clôt par une évocation des quatre vertus cardinales (De quatuor virtutibus principalibus) : De fortudine, de sapientia, de iusticia, de temperantia.

Il s’agit d’un thème que l’on retrouve dans certains traités du gouvernement du XIIIe siècle comme le Liber de regimine civitatum de Jean de Viterbe. Après avoir développé les qualités nécessaires à l’exercice des fonctions civiques dans un paragraphe intitulé Quas virtutes decet habere potestatem, Jean de Viterbe énumère les quatre vertus principales – prudence, magnanimité, continence et justice – qui conduisent l’esprit humain à une vie honnête. La prudence qui est la première des vertus conduit l’auteur à exiger des gouvernants de vivre selon la raison (per rationem recte vivere), ce qui implique d’estimer et d’apprécier les choses selon leur propre nature et non selon l’opinion commune (ex oppinione multorum). Le discours sur les vertus est aussi une noétique et la bonne conduite des dirigeants de la cité nécessite qu’ils disposent des moyens de connaître les hommes et les biens qu’ils gouvernent et qu’ils sachent formuler de manière appropriée les actes de leur gouvernement. C’est l’une des raisons pour lesquelles les traités de cette période incorporent des modèles d’actes à reproduire.

La présence de ce montage de listes suscite deux séries de problèmes. La première est liée à l’identification des sources utilisées ; la seconde au sens qu’il convient d’attacher à la présence d’un discours sur les vertus, dans un contexte urbain et consulaire. L’usage direct de manuels de confesseurs ou de traités du gouvernement urbain est peu probable compte tenu de la structure du texte. En revanche, le rédacteur semble puiser une partie de son inspiration dans le Breviari d’amor de Matfré Ermengaud († c. 1322), juriste et franciscain de Béziers, qui rassemble dans son œuvre encyclopédique, un savoir destiné aux laïcs, structuré autour de la notion d’amour dont la fonction ne se limite pas au strict champ de l’éthique. Le choix de la langue vernaculaire, comme la conception d’un savoir assimilé à un trésor, apparente ce texte à d’autres productions contemporaines, qu’il s’agisse du Livre du Trésor de Brunetto Latini, de L’image du monde de Gauthier de Metz ou bien encore du Trésor de Pierre de Corbiac. Mais Matfré Ermengaud fait de la confession l’un des signes de l’amour de Dieu. Après avoir rappelé son importance ainsi que celle de la prière, le frère mineur distingue trois types de péchés – véniels, criminels et mortels – qu’il présente successivement. Conscient du rôle de la sociologie de son temps dans la casuistique des péchés, il poursuit en détaillant les fautes spécifiques qui menacent les individus selon leur situation particulière dans le corps social. Un long développement est consacré aux officiers publics, en l’occurrence les consuls, les tuteurs, les curateurs et autres administrateurs, c’est-à-dire à ceux qui sont désignés pour régir et administrer loyalement les affaires de leurs concitoyens. Le serment qu’ils prêtent lors de leur entrée en charge est rappelé, car il constitue l’engagement à respecter une éthique civique qui place le profit commun au-dessus de toute autre considération. L’engagement devant un Dieu omniscient est décrit comme une garantie d’absence de dissimulation ou de double langage de la part des gouvernants, que Matfré dit avoir souvent constatés, et qu’il assimile à une rupture du serment prêté sur le Livre.

S’agit-il des Évangiles ? À Montpellier comme ailleurs dans le Midi, les petits thalami contiennent, avant le corpus des serments, des extraits des Évangiles, et c’est en posant la main sur l’objet matériel contenant les textes qui garantissent les intérêts de la communauté dans son entier que l’officier formule son engagement devant Dieu. Henri Gilles avait d’ailleurs proposé, il y a quelques années, de parler à leur égard de livres juratoires. La dimension civique de la confession est notifiée par cette présence de fragments du texte sacré dans les livres urbains. D’autres éléments de la doctrine chrétienne, présents dans le texte du manuscrit G, sont exposés par la suite dans le Breviari, qu’il s’agisse des cinq sens, des vertus théologales ou bien encore des douze articles de la foi qui fournissent le plan de la fin du traité.