La présence de ce texte dans un des manuscrits des petits thalami de la ville de Montpellier s’inscrit dans
un contexte culturel et intellectuel plus général. Les vertus connaissent, au
cours du XIIIe siècle, une politisation, marquée par
l’émergence du concept de virtus politica qui
était absent de la tradition antérieure, si l’on excepte le Songe de
Scipion de Macrobe. Les premières discussions de cette notion
n’interviennent pas avant le XIIe siècle, lorsque
certains porrétains, Alain de Lille en tête, distinguent vertus catholiques et
vertus politiques, ces dernières étant souvent, dans la tradition postérieure,
assimilées aux vertus cardinales. Les traductions latines du
Politique et de l’Éthique à Nicomaque
d’Aristote, qui proposent une théorie des vertus orientée vers la vie civile,
sont commentées dès 1274 par Pierre d’Auvergne. Mais la question des vertus
s’insère également dans le champ de la réflexion politique et gouvernementale,
grâce au développement d’une littérature consacrée au regimen médiéval. La question éthique, étendue au domaine du
gouvernement terrestre, est au centre de l’articulation médiévale du domaine du
politique à la volonté de Dieu et aux fins dernières de l’existence terrestre.
Selon Michel Senellart, le discours sur les vertus, singulièrement sur la
prudence telle que la définit Thomas d’Aquin, joue également un rôle central
dans la formation, à partir du XIIIe siècle, d’une
rationalité instrumentale du gouvernement : La visée de la fin bonne,
cependant ne suffit pas à rendre compte de la pratique de la prudence selon
Thomas. Car elle n’est pas elle-même une vertu morale, mais une disposition
de l’intelligence pratique, conforme à l’appétit droit, nécessaire pour
s’orienter dans le domaine du contingent. À ce titre, par l’attention
spéciale qu’elle porte sur les moyens d’agir, elle ouvre le champ à une
rationalité de type instrumental
(Les arts de gouverner. Du
regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, 1995, p.
178-179). ,
Or la construction d’instruments aidant à la prise de décision se trouve précisément au cœur de la rédaction des petits thalami. La consultation par les rectores de la communauté de corpus qui fondent et réorganisent les sédimentations textuelles produites par l’histoire même du gouvernement de la ville participe d’une sagesse pratique. Elle s’incarne dans une forme de raison prudentielle fondée sur la prise en compte des intérêts partagés d’une communauté d’habitants juridiquement constituée. Les textes assemblés possèdent de la sorte, pour reprendre le vocabulaire utilisé par Jan Assmann dans La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, à la fois une valeur normative – le passé guide les décisions à venir – et formative – leur présence contribue à l’affirmation de la communauté urbaine comme groupe social particulier.