L’an mil cinq cens quatre vingts et ung et le premier jour | du moys de fevrier, comme dix heures de soir eurent | frappé et le rabatRabat : ici sans doute pour abat-son, partie du clocher protégeant la chambre des cloches du vent et des intempéries sous la forme de volets à persiennes. de l’orloge ayant frappé deux ou troys | coups, le clocher +et esguille[a]Renvoi en fin de page avec le symbole + du temple de Tables de la presenteAbrégé : pnt ville de | Montpellier tumba par terre et s’enfondra, tant dedans le | temple dudictAbrégé : dud Tables que sur la grand rue vis a vis de la | maison consulere, et endoumaigea grandement la maison | de l’orgerieOrgerie : marché aux grains (Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, Honoré Champion, 1881-1902 ; édition électronique Garnier [consulté en octobre 2014], 67804). , de ladicteAbrégé : lad ville et la maison de monsieur le | president ChefdeBien estant vis a vis dudictAbrégé : dud clocher, où miraculeusementAbrégé : miraculeusemet | feust preservé sireAbrégé : se Jehan Gallard, marchant de ladicteAbrégé : lad ville | avec sa famille qui habitoit dans icelle. Dans ledictAbrégé : led clocher | y avoit deux sentinelles qui s’y tenoyent jour et nuict pourAbrégé : po la | garde de la ville, qui y furent accablés. Et dans une petite | bouticque tout joignant ledictAbrégé : led temple y feust accablé aussi | par la ruyne dudictAbrégé : dud clocher ung orfevre nommé maistreAbrégé : me Jehan | Vibal avec ung sien serviteur et ung aprentis d’icelluy. Et | ayant le lendemain matin faict laier[b]Comprendre « nettoyer ». les ruynes qu’estoyent | tumbees sur ladicteAbrégé : lad bouticque, ledictAbrégé : ledVibal et son serviteurAbrégé : servite | furent trouvez mortz, et ledictAbrégé : led apprentis encores en vye pourAbrégé : po | s’estre caché dessoubz ung petit banc de boys, toutesfoys | fort blessé et brisé et lequel despuys est mort quelques | huict jours après. | [c]en retrait à droite, en forme de signature :Fesquet A. greffier
Année 1581 : commentaire historique
La chronique retient un fait divers pour l’année 1581, un fait divers à la portée symbolique forte : le clocher de Notre-Dame des Tables s’effondre, alors que Montpellier vient d’être l’objet de plusieurs années de conflit entre catholiques et protestants, après la rupture de l’union. En 1577, un soulèvement calviniste victorieux a marqué la fin de ce régime. Montmorency-Damville et Joyeuse ont ensuite assiégé la ville pour tenter de la reprendre aux protestants. En vain : Montpellier reste aux réformés et obtient même le statut de place de sûreté à la paix de Bergerac en septembre 1577. Mais la ville subit encore des vicissitudes par la suite. Ainsi, une insurrection catholique a lieu pendant la septième guerre de religion, en mars 1580, les « papistes » mettant à profit un affaiblissement de la garnison calviniste à cause de la peste. De nombreux réformés sont alors chassés par des catholiques triomphants. Mais les protestants se ressaisissent et reprennent la ville. C’est alors un moment de retour des protestants et de fuite des catholiques. Selon la paix de Fleix (novembre 1580), l’église Notre-Dame des Tables doit finalement être restituée aux catholiques. Le 21 janvier 1581, de Saint-Pons-de-Thomières où il se trouve alors, Montmorency fait publier en Languedoc cette paix, formalité effectuée par le Parlement de Toulouse deux jours plus tard. C’est alors que, le 1er février 1581, la chute de la grande tour latérale de l’église Notre-Dame des Tables, dite « de l’Aiguille », détruit une partie de l’édifice cultuel et des immeubles voisins tout en tuant cinq personnes. Cet événement intervient dans un contexte de discussions concernant la disposition de l’église, les protestants refusant de rendre ce centre stratégique pour le pouvoir symbolique du consulat montpelliérain (voir année 1523). La chute a vraisemblablement été provoquée par des protestants qui s’affairaient sur l’édifice, mais l’élément est discuté et discutable car mis en avant par une historiographie catholique partisane. Selon d’Aigrefeuille en tout cas, ce sont des protestants qui font tomber le clocher en cherchant à en saper la flèche. L’affaire n’est anecdotique qu’en apparence. Le clocher ou l’aiguille de l’église est mentionnée à huit reprises dans le Thalamus (1264, 1309, 1371, 1380, 1398 1411, 1495, 1559, 1573). Cette église est fondatrice de la communauté urbaine, symbole de son unité et directement liée au consulat, à la fois topographiquement et politiquement ; et toute atteinte à ce symbole de la ville marque à l’encre noire la chronique urbaine.
Bibliographie :
Charles d’Aigrefeuille et Louis Lacour de La Pijardière, Histoire de la ville de Montpellier depuis son origine jusqu’à notre temps, vol. 1, Montpellier, Coulet, 1875, 519 p.
Jean Baumel, Montpellier au cours des XVIe et XVIIe siècles, tome 4 : Les guerres de religion (1510-1685), Montpellier, Causse, 1976, 320 p.
Louise Guiraud, La Réforme à Montpellier, Mémoires de la société archéologique de Montpellier, tome VI, Montpellier, Imprimerie générale du Midi, 1918, 816 p.