Mais le legs que représente le Liber instrumentorum memorialis
pour la ville de Montpellier et ses seigneurs ne se réduit pas à cette
appropriation dont le manuscrit seigneurial a été l’objet. Les premiers livres
consulaires, dont la rédaction est entreprise au cours de la décennie 1220,
entretiennent avec le modèle des cartulaires de la période antérieure des liens
plus profonds, tant dans le domaine de la pratique très concrète de la
transcription, que de l’adaptation du cartulaire, comme livre d’archives, au
contexte du gouvernement consulaire et aux nouvelles modalités de la production
notariale de l’écrit qui devient alors dominante. Cette transformation est
notifiée, à Montpellier comme dans d’autres villes du Midi, par l’usage du
terme de thalamus, qui est couramment
utilisé, à partir de la décennie 1340, pour désigner les livres urbains. La
première mention du terme semble figurer dans l’Eventari dels prevelegis
e de las cartas de las franquezas de la vila de Monpeslier, à propos
d’une charte scellée de Jacques Ier : Et es en publica forma en lo Talamus
(Arch. mun. de
Montpellier, II 1, fol. 38 v).
L’adoption de termes insolites pour désigner les codices urbains est attestée en Italie à la même période, dans un
contexte comparable (Caleffo à Sienne,
Poggibonsi et San Gimignano ; Margarite à Viterbe…). L’étymologie traditionnelle
qui rattachait thalamus au Talmud, livre de
la tradition hébraïque, est peu crédible. Philologiquement fantaisiste, elle se
heurte en outre aux dispositions coutumières du début du XIIIe siècle qui interdisent aux juifs de tenir des offices urbains. Au
Moyen Âge, le terme thalamus (du grec
θάλαμος) est couramment
employé en latin pour désigner l’espace privé de la chambre, voire, par
synecdoque, le lit nuptial. Ces deux significations sont privilégiées par
Firmin le Ver († 1444) dans son dictionnaire : Thalamus .lami – chambre .i. cubiculum vel camera
vel coniugalis lectus sponsi vel sponse, scilicet thorus et dicitur a
thalamos grece, quod est cubiculum vel coniugalis lectus latine
(Firmini Verris dictionarius,
et
(éd.), Turnhout, 1994, p.
499).
Le thalamus virginis devient d’ailleurs, dans
le contexte du développement de la devotio
moderna, un thème pictural du XVe siècle. On retrouve un usage assez semblable du terme, en 1318, dans
le Roman de Fauvel avec le thème du thalamus puerpere. Le mot peut également être l’équivalent de
palatium ou de domus comme l’indique l’article que Du Cange lui consacre. Le
plus probable est donc que, par synecdoque, le terme thalamus en soit venu à désigner les manuscrits urbains déposés
dans les lieux publics du pouvoir, en particulier la maison consulaire.
L’hypothèse est étayée par la présence, dans L’inventoyre des joyaulx de
la chappelle de la maison du consulat au début du XVIe siècle, de l’expression le grand
libre de thalamus del consolat
(Arch. mun. de Montpellier, Joffre n°
377, f° 28), qui laisse planer une ambiguïté sur le sens du terme qui peut
désigner le livre, mais aussi le lieu où il est déposé. L’usage du terme de
thalamus devient courant durant le second
tiers du XIVe siècle, au moment du conflit qui oppose le
pouvoir consulaire au parti populaire. Ce contexte éclaire les motifs
politiques de la substitution du terme de thalamus à celui de liber pour
désigner les livres de la ville. Les populaires formulent, entre autres
exigences, un accès plus aisé aux documents produits par le pouvoir urbain,
afin d’exercer un contrôle sur les décisions gouvernementales. La nouvelle
dénomination sonne comme un rappel du caractère public des livres de la ville,
mais elle indique également, en évoquant un thème marial lié à la nativité, que
les livres forment la matrice du corps civique urbain.