Le Petit Thalamus de Montpellier

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Les thalami montpelliérains : genèse, tradition manuscrite et codicologie

par Pierre Chastang (DYPAC)
Dernière mise à jour : 19 février 2021

Du cartulaire seigneurial aux thalami consulaires : questions sur une dénomination

Mais le legs que représente le Liber instrumentorum memorialis pour la ville de Montpellier et ses seigneurs ne se réduit pas à cette appropriation dont le manuscrit seigneurial a été l’objet. Les premiers livres consulaires, dont la rédaction est entreprise au cours de la décennie 1220, entretiennent avec le modèle des cartulaires de la période antérieure des liens plus profonds, tant dans le domaine de la pratique très concrète de la transcription, que de l’adaptation du cartulaire, comme livre d’archives, au contexte du gouvernement consulaire et aux nouvelles modalités de la production notariale de l’écrit qui devient alors dominante. Cette transformation est notifiée, à Montpellier comme dans d’autres villes du Midi, par l’usage du terme de thalamus, qui est couramment utilisé, à partir de la décennie 1340, pour désigner les livres urbains. La première mention du terme semble figurer dans l’Eventari dels prevelegis e de las cartas de las franquezas de la vila de Monpeslier, à propos d’une charte scellée de Jacques Ier : Et es en publica forma en lo Talamus (Arch. mun. de Montpellier, II 1, fol. 38 v).

L’adoption de termes insolites pour désigner les codices urbains est attestée en Italie à la même période, dans un contexte comparable (Caleffo à Sienne, Poggibonsi et San Gimignano ; Margarite à Viterbe…). L’étymologie traditionnelle qui rattachait thalamus au Talmud, livre de la tradition hébraïque, est peu crédible. Philologiquement fantaisiste, elle se heurte en outre aux dispositions coutumières du début du XIIIe siècle qui interdisent aux juifs de tenir des offices urbains. Au Moyen Âge, le terme thalamus (du grec θάλαμος) est couramment employé en latin pour désigner l’espace privé de la chambre, voire, par synecdoque, le lit nuptial. Ces deux significations sont privilégiées par Firmin le Ver († 1444) dans son dictionnaire : Thalamus .lami – chambre .i. cubiculum vel camera vel coniugalis lectus sponsi vel sponse, scilicet thorus et dicitur a thalamos grece, quod est cubiculum vel coniugalis lectus latine (Firmini Verris dictionarius, Brian Merrilees et William Edwards (éd.), Turnhout, 1994, p. 499).

Le thalamus virginis devient d’ailleurs, dans le contexte du développement de la devotio moderna, un thème pictural du XVe siècle. On retrouve un usage assez semblable du terme, en 1318, dans le Roman de Fauvel avec le thème du thalamus puerpere. Le mot peut également être l’équivalent de palatium ou de domus comme l’indique l’article que Du Cange lui consacre. Le plus probable est donc que, par synecdoque, le terme thalamus en soit venu à désigner les manuscrits urbains déposés dans les lieux publics du pouvoir, en particulier la maison consulaire. L’hypothèse est étayée par la présence, dans L’inventoyre des joyaulx de la chappelle de la maison du consulat au début du XVIe siècle, de l’expression le grand libre de thalamus del consolat (Arch. mun. de Montpellier, Joffre n° 377, f° 28), qui laisse planer une ambiguïté sur le sens du terme qui peut désigner le livre, mais aussi le lieu où il est déposé. L’usage du terme de thalamus devient courant durant le second tiers du XIVe siècle, au moment du conflit qui oppose le pouvoir consulaire au parti populaire. Ce contexte éclaire les motifs politiques de la substitution du terme de thalamus à celui de liber pour désigner les livres de la ville. Les populaires formulent, entre autres exigences, un accès plus aisé aux documents produits par le pouvoir urbain, afin d’exercer un contrôle sur les décisions gouvernementales. La nouvelle dénomination sonne comme un rappel du caractère public des livres de la ville, mais elle indique également, en évoquant un thème marial lié à la nativité, que les livres forment la matrice du corps civique urbain.