Le Petit Thalamus de Montpellier

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Les thalami montpelliérains : genèse, tradition manuscrite et codicologie

par Pierre Chastang (DYPAC)
Dernière mise à jour : 19 février 2021

L’invention des livres du gouvernement

À la fin de la décennie 1250, de nouveaux outils écrits sont inventés alors que la fonction des instruments anciens se transforme fortement. Ce que Yann Potin écrit au sujet de la curia regis entre 1270 et 1314, est applicable au cas montpelliérain : il n’est désormais plus possible de prétendre faire tenir la ville dans un livre. Le premier manuscrit du corpus des petits thalami (Bibl. mun. de Nîmes, ms 254) duplique simplement, dans un format plus pratique, le corpus latin des coutumes et des statuts.

C’est à une date très proche qu’est entreprise la rédaction du premier manuscrit en occitan (Bruxelles, Bibl. royale de Belgique, 20807-809) qui contient, en plus du corpus juridique, un rassemblement des listes d’avenimens et un calendrier liminaire. La structure syntaxique de la liste des avenimens plaide en faveur de l’existence de plusieurs documents sources dont les témoins manuscrits n’ont cependant pas été conservés. Mais la production des manuscrits F (Paris, Bibl. nat. de France, naf 4337) et G (Paris, Bibl. nat. de France, fr. 11795), respectivement datés des années postérieures à 1261 et à 1270, introduit une double rupture dans une tradition de compilation jusque-là directement dérivée des pratiques de cartularisation.

Les textes sont désormais insérés dans de véritables corpus thématiques, ce qui conduit les notaires en charge de ce travail, afin d’extraire l’information utile, à démembrer les actes servant de sources aux rédacteurs. Le premier regroupement constitué selon ces pratiques d’écriture est formé par les établissements ou ordonnances de la ville. Il reprend d’une part certaines normes coutumières et statutaires précédemment édictées en dépouillant les textes de leur gangue diplomatique, et enregistre d’autre part les nouvelles dispositions prises par les consuls et par le roi en matière de police urbaine. Se forme ainsi, par un alluvionnement de strates successives dont la datation résiste bien souvent à l’analyse, un véritable corpus normatif, qui apparaît mouvant dans la tradition manuscrite postérieure. Les textes du droit urbain, parce qu’ils procèdent d’une pluralité de producteurs – consuls, roi, principe coutumier, jurisprudence… – et parce qu’ils s’inscrivent dans des formes institutionnelles et scripturales variées, engendrent un premier aggiornamento dans une gestion de l’écrit jusqu’alors guidée par des pratiques de transcription apparentées aux savoir-faire des cartularistes. La mise en corpus combinée à l’usage de la langue vulgaire viennent garantir une meilleure accessibilité des textes pour les hommes chargés de la gestion administrative et du gouvernement de la ville. Le phénomène s’amplifie avec la rédaction du manuscrit G (Paris, Bibl. nat. de France, fr. 11795). Si initialement, le premier corpus juridique est repris et indifféremment complété par l’insertion de nouveaux établissements et de quelques serments (PTh 11795, f° 31 v-66), apparaît pour la première fois, dans la suite du manuscrit, un rassemblement spécifique des serments des officiers de la ville (PTh 11795, fol. 118-150 v). L’évolution rappelle le processus d’autonomisation du corpus des établissements qui s’est produit quelques années auparavant et la teneur des serments rappelle celle des brefs génois et pisans qui permettaient de solenniser et de fixer les relations de pouvoir dans la ville. Dans les deux cas, la relation établie est de nature réciproque : les consuls et les magistrats s’engagent, par serment, à servir les intérêts de l’universitas, et les gouvernés eux-mêmes, dans le cadre de leur métier ou de l’exercice de leurs droits civiques, doivent prêter serment aux consuls. Mais contrairement aux villes italiennes citées, nous ne savons rien des modalités de rédaction et de modification des formulaires conservés.

Si l’on laisse de côté la reprise et la mise à jour des Fastes consulaires qui, déjà présents dans la tradition manuscrite des grands thalami, finissent, au début du XIVe siècle, dans le manuscrit J (Arch. mun. de Montpellier, AA 9) par fusionner avec les Avenimens, le dernier corpus textuel récurrent des petits thalami est formé par les inventaires des archives communales. Ces derniers renvoient aux originaux qui sont, après 1259, conservés en dehors de la maison consulaire, chez les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. La présence de tels outils remplace les transcriptions diplomatiques des actes conservés dans l’arca comunis, en offrant aux personnes les consultant un moyen efficace pour retrouver un parchemin conservé dans le chartrier. La tentative de regroupement dont les criées publiques sont l’objet dans le manuscrit H (PTh 14507, f° 78 A-80 B) s’accorde à la logique de compilation des serments et des établissements. Les textes des criées, rédigés en occitan, sont extraits des actes de promulgation en latin dans lesquels ils étaient insérés, puis rassemblés en une collection qui reprend, pour introduire chacune d’elles, une formule identique : La cort a fag cridar publicamens per la villa de Monpeslier am trompas… .