La question de l’accord du participe passé – employé avec « être », employé avec « avoir » – est une passion française qui prend son origine justement au 16e siècle, non pas pour se mesurer au latin mais plutôt à l’italien, concurrent culturel très sérieux de la langue française. La sophistication supposée de la grammaire italienne à ce moment-là amène les auteurs à se pencher sur la question, pour proposer des règles susceptibles de caractériser le français, comme Clément Marot en 1542, dans son Premier livre des Episgrammes :
A ses
Disciples.
Enfants, oyez une Leçon :
Nostre langue a ceste façon,
Que le terme qui ua deuant,
Vouluntiers regist le suiuant. […]
Il fault dire en termes parfaictz,
Dieu en ce monde nous a faictz :
Fault dire en parolles parfaictes,
Dieu en ce monde les a faictes.
Et ne fault point dire (en effect)
Dieu en ce monde les a faict :
Ne nous a faict, pareillement :
Mais nous a faictz, tout rondement.
L’italien, (dont la faconde
Passe les uulgaires du monde)
Son langage a ainsi basty
En disant, Dio noi a fatti.
Parquoy (quand me suys aduisé)
Ou mes Iuges ont mal uisé,
Ou en cela n’ont grand’ science,
Ou ilz ont dure conscience.
Et Ramus de commenter (1562) :
Voela cę di’
Marot pour ƒa defenƒę, nous
alegã’ l’uzaję tan’ de’ Franƒoes
cę des Italiens: cõbien c’en ƒet
epigram’ il nou’ declarę teziblęment
cę ƒę langaję n’e’ point
aprouve dę tous vu cę lui memę en a
ete blame: e ƒemblę pour lę
contrerę cę ƒęlon l’avis
d’Ariƒtotę, le’ mo’ tranƒpoze’
doevę’ ƒinifier unę memę
çozę: Finablęment toutę tel’ orezon
et a dęus ententęs: come, Tu batis
unę mezon, ję l’e batie: Il tę fau’
meubler te’ çambręs, ję les e
toutę’ garnięs. […]
Qu’en est-il dans la Chronique ? Sans examen chiffré, encore
à faire, il est difficile de donner des résultats tout à
fait fiables. Néanmoins, la lecture cursive permet de
dégager des tendances, qui demandent à être confirmées ou
corrigées. Il semble toutefois que l’accord du participe
passé employé avec « être » est respecté, tant au masculin
pluriel – des habitans ne treuvant
bleds dans la ville de montpellier furent constrainctz achapter grand q(uan)tité
de bledz
(1556),
La forme ord(inaire) concille et
les noms et surnoms des archevesques clergés cy apres
sont declairés
(1510) – qu’au féminin pluriel lesquelles sont mises au tresor
.
Il y a davantage de liberté en revanche lorsqu’il s’agit de
l’auxiliaire « avoir ». Tantôt l’accord se fait avec le
complément d’objet placé avant le verbe – Le jour du mois de mil cinq cens
cinquante six a esté accordé entre lesdits consulz et le
seigneur de Pinhan sur les differans que estoyent entre
eulx tant a cause des restes de taille que d’une piece
de terre herme qu’il avoict en son
manifest scituee dans le deves d’En
combes
(1556) –,
tantôt non – grand et illuystre
apareilh et magnifficque court qu’on eust jamays veu
(1538)–, tandis qu’à d’autres
moments l’accord se fait avec le complément d’objet placé
après le verbe – Item e(s)t ascavoir
si led(it) pape(,)recusées toutes obl(ig)acions faictes
p(ar) led(it) prince de fait et sans s(er)ver aulcun
ordre de droit a proferée aulcune
iniuste sentence contre led(it) prince
(1510) –, forme critiquée
comme aberrante par Vaugelas11. Remarques sur la langue françoise, A Paris, chez Vve
Camusat et P. Le Petit. , 1647,
en 1647, toujours dans
la perspective de la confrontation avec l’italien :
Premierement, le
preterit va deuant le nom qu’il regit, comme quand ie
dis, j’ay receu vos lettres. Alors receu, qui est le
participe, est indeclinable, et voilà son premier vsage,
où personne ne manque. Qui a jamais dit, j’ay receües
vos lettres, comme disent les Italiens depuis peu, ho
riceuute le vostre lettere?
Ces hésitations sont révélatrices d’une zone de fragilité permanente de la langue française, tant les règles syntaxiques se mêlent aux représentations, ce qui apparaît bien dans le texte à travers les divers essais que tentent les scripteurs. Mais on note cependant que cette question syntaxique n’est pas ignorée des scripteurs, du début comme de la fin du siècle, ce qui tend à prouver qu’il s’agit d’un point orthographique non négligé par l’apprentissage, dès le début du 16e siècle.